Congrès HLM

Dans Médiapart, ma Lettre ouverte à François Hollande : « Monsieur le Président, les loyers sont trop chers »

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|  PAR LES INVITÉS DE MEDIAPART

pave_mediapart_0Dans cette lettre ouverte de Marie-Noëlle Lienemann à François Hollande, au moment où s’ouvre le congrès de l’Union Sociale pour l’Habitat à Montpellier, la sénatrice socialiste, ancienne ministre, membre du bureau national du PS et Présidente de la fédération des sociétés coopératives HLM dont elle se fait la porte-parole: « (…) De multiples difficultés s’accumulent tant pour la construction, la rénovation des logements que pour répondre aux besoins d’une population de plus en plus touchée par la pauvreté, la précarité ou encore pour faire vivre, dans tous les territoires, les valeurs et principes de notre République. »


 Monsieur le Président de la République,

Vous allez clore le congrès de l’Union Sociale pour l’Habitat, témoignant ainsi de votre intérêt et de votre soutien au mouvement HLM.

Les participants, engagés au quotidien en faveur du logement social et au service des habitants seront sans nul doute sensibles à votre démarche.

Mais ils vous diront aussi la gravité de la situation. De multiples difficultés s’accumulent tant pour la construction, la rénovation des logements que pour répondre aux besoins d’une population de plus en plus touchée par la pauvreté, la précarité ou encore pour faire vivre, dans tous les territoires, les valeurs et principes de notre République.

Le mouvement HLM est mobilisé et a su innover pour relever les défis qu’imposent une dégradation sociale inquiétante, pour être au rendez-vous de la transition énergétique, pour améliorer l’accès et le droit au logement.

Il est clair que notre pays n’a pas accordé la priorité qui s’impose à la politique du logement, en particulier dans les régions en fort déficit. Il n’a pas assuré l’effort massif qui s’impose en faveur du logement social –pour le locatif d’abord mais aussi pour l’accession des catégories modestes à la propriété–. C’était vrai hier, cela demeure aujourd’hui.

Les engagements que vous aviez pris devant les Français, lors de l’élection présidentielle, n’ont à ce jour pas été tenus. Les résultats ne sont pas au rendez-vous. De surcroît, de sombres nuages s’amoncellent au regard de l’évolution des moyens consacrés aux HLM.

C’est parce qu’il n’est pas trop tard pour inverser la tendance et conjurer les mauvaises augures que je me permets de m’adresser à vous. J’espère vraiment que, lors de votre intervention devant les congressistes à Montpellier, vous pourrez dissiper les inquiétudes et annoncer des décisions concrètes qui permettront  d’agir vite, efficacement, et de répondre aux attentes du monde HLM et de ses locataires.

Je souhaite insister auprès de vous sur quatre points cruciaux pour l’avenir du logement social :

– un haut niveau budgétaire des aides à la pierre pour construire, en nombre, des logements à bas loyer ;
– la sanctuarisation de la mutualisation réalisée par l’USH pour optimiser, au sein du mouvement HLM, les fonds disponibles, avec le souci d’accompagner tous les territoires aux besoins différenciés ;
– la mobilisation réelle du foncier public ;
– la mise en œuvre effective de la loi SRU, des réponses nouvelles pour les foyers en difficultés, le refus du cantonnement du rôle des HLM au seul logement des plus démunis  pour assurer la mixité sociale.

Un haut niveau d’engagement budgétaire de l’État pour construire, en nombre, des logements à bas loyers

L’objectif annoncé était de produire 150 000 logements locatifs sociaux par an. En 2014, nous en sommes à 113 000. Nous n’atteignons pas et n’atteindront pas le cap fixé, si rien ne change.

Non seulement ce chiffre de logements sociaux financés ne correspond pas à celui des logements qui seront réalisés, mais on ne dit pas que l’accroissement réel du parc HLM atteint tout juste 60 000 logements par an, ce qui est dérisoire au regard de la liste d’attente, des besoins croissants et de l’évolution démographique du pays.

Car il faut déduire de la construction neuve les démolitions et la vente des logements anciens, trop souvent réalisée pour dégager des fonds propres, se substituant ainsi aux aides à la pierre. Nous produisons un nombre extrêmement faible, extrêmement insuffisant de logements sociaux supplémentaires chaque année en France.

Les loyers sont trop chers.

Se pose un second problème, enjeu majeur pour aujourd’hui et pour demain. Les logements nouvellement construits sont trop chers au regard des revenus de nos concitoyens. La part desPLS demeure très importante, bon nombre des logements PLUS réalisés ont un niveau de loyer proche des plafonds. La production PLAI demeure insuffisante alors que la plupart des demandeurs relèvent de cette catégorie

Cette situation n’est pas le fruit d’une volonté des bailleurs sociaux mais la plupart du temps d’un double mouvement d’accroissement des coûts du foncier, de l’immobilier et d’une insuffisance de crédits publics d’aide à la pierre.

Pendant   longtemps, les collectivités locales ont  compensé –au moins dans certains territoires– le désengagement de l’Etat. Mais celles-ci, voyant leurs dotations se réduire et leur charges s’accroitre ont de plus en plus de difficultés   voire de réticences à maintenir ces soutiens

Vous aviez d’ailleurs pris la mesure des dangers de cette dérive en vous engageant, lors de la campagne électorale de 2012, à doubler l’aide à la pierre pour le locatif social dans le budget de l’État.

 

C’est pourtant le mouvement inverse qui s’est opéré puisque les autorisations d’engagement sont passées de 500 millions d’euros en 2011 à 400 millions en 2015 (les prévisions de crédits de paiement sont tombées à 171 millions !).

Certes, l’inscription budgétaire de 2011 était plus apparente que réelle car le gouvernement Fillon avait opéré un funeste prélèvement de 260 millions d’euros sur les organismes HLM pour alimenter ces aides à la pierre, à travers un fonds dit « de péréquation ». Nous avions dénoncé une logique qui substituait à la solidarité nationale un financement des HLM par les locataires, une solidarité entre pauvres.

Ce tour de passe-passe revient, à travers de nouvelles modalités, dès 2015, et plus encore dans la préparation du budget 2016.

 

En 2015, non seulement les sommes inscrites au budget prévisionnel étaient en baisse, mais un gel de ces crédits conjugué à une ponction de 120 millions d’euros sur la CGLLS (caisse de garantie entièrement abondée par les organismes HLM) a finalement ramené à seulement 80 millions d’euros les aides à la pierre pour les HLM. Vous conviendrez qu’une telle somme est dérisoire et alarmante.

Monsieur le Président, comment ne pas voir que tout cela a un air de « déjà vu » et que la politique soutenue par votre prédécesseur revient par la fenêtre, à pas feutrés, bien cachée sous une présentation trompeuse.

Pour 2016, le gouvernement annonce que les crédits budgétaires d’aides à la pierre seront maintenus et qu’un « fonds national des aides à la pierre », doté d’une gouvernance partagée entre les bailleurs sociaux, les collectivités locales et l’État. Les modalités d’alimentation de ce fonds par les bailleurs sociaux sont à l’étude, en accompagnement des aides de l’État. Encore un fonds !

Or, le gouvernement explique en coulisse que les crédits d’aides à la pierre abondés par l’État ne dépasseront pas 100 millions, soit 10 % de votre promesse.

Un nouveau nom pour une même logique : prélever sur les ressources des HLM et réduire l’intervention financièrere de l’État.

Quelle que soit la présentation retenue, au final l’apport budgétaire de l’État, l’argent supplémentaire consacré par la Nation aux HLM est en chute libre.

Aussi, Monsieur le Président, nous attendons un message clair de votre part : les aides à la pierre, financées par le budget de l’État, et donc la solidarité nationale, doivent être maintenues à un haut niveau permettant que soit atteint ce qui était prévu dans vos engagements, c’est-à-dire le doublement de ces crédits, soit 1 milliard d’euros.

Bien sûr, nous entendons votre préoccupation d’une gestion rigoureuse de la dépense publique. Justement, dans de telles circonstances, il faut faire des choix.

Permettez-moi de penser que le doublement des avantages fiscaux pour actions gratuites aux cadres des entreprises, prévu dans la loi Macron, ou les mesures pour les impatriés, estimées à plus de 400 millions d’euros par an, sont moins essentiels à l’avenir du pays que 400 millions d’euros d’aides à la pierre pour les HLM.

Vous le savez, la réalisation de logements sociaux a le triple avantage de soutenir l’emploi et l’activité du bâtiment, d’assurer des rentrées de TVA et d’améliorer le pouvoir d’achat de foyers modestes.

Sanctuariser la mutualisation engagée par l’USH

Le mouvement HLM, conscient de la nécessité qu’aucun euro disponible ne dorme dans des trèsoreries excessives, a décidé en 2013 la mise en œuvre, en son sein, d’une mutualisation financière assurant un soutien conséquent aux organismes qui réhabilitent ou construisent, par une circulation solidaire des moyens, ouverte à tous en fonction des besoins. C’est évidement totalement différent d’un prélèvement public pour compenser une baisse de l’intervention budgétaire.

Cette mutualisation est de 220 millions d’euros et devrait atteindre 600 millions pour 2016. Elle est voulue et maîtrisée par le mouvement HLM – évidemment en lien avec l’État et les collectivités – car il s’agit de l’argent des organismes et de leurs locataires.

Nous savons que les services du ministère de l’économie et des finances n’ont pas abandonné l’idée d’affecter cette mutualisation au fameux nouveau fonds qu’ils veulent constituer, détournant totalement de ses finalités et de son esprit notre démarche.

Aussi, Monsieur le Président, nous avons besoin que vous garantissiez la sanctuarisation de cette mutualisation et sa pleine maîtrise par le mouvement HLM et lui seul.

Car, il serait erroné de croire que le monde HLM est assis sur un pactole dormant. Les investissements qui se présentent à nous dans les années à venir sont considérables : constructions neuves, opérations de renouvellement urbain, plans de réhabilitation thermique, mutation du parc dans les territoires en déclin démographique, etc. Il est du devoir des organismes de penser leur action, l’évolution de leur parc, dans la durée.  On a parfois la triste impression que l’État qui devrait, lui aussi, avoir cette préoccupation de long terme,  semble plus obsédé par des économies budgétaires immédiates que par une vision structurante de l’avenir. Quitte à ce qu’au final, les insuffisances d’aujourd’hui coûtent cher demain.

La mobilisation réelle du foncier public

La construction de logements neufs exige de mobiliser des terrains. Vous vous étiez engagé « à mettre gratuitement à disposition des collectivités locales les terrains de l’État disponibles pour leur permettre de construire de nouveaux logements dans un délai de 5 ans. »

La loi facilitant ces cessions a été adoptée. Malheureusement, la méthode choisie est d’une grande complexité et laisse les différentes administrations et services publics finalement maîtres du jeu, et dans une situation souvent schizophrénique, puisque dans leurs budgets demeurent inscrite une valorisation de leurs actifs au prix du marché, sans tenir compte d’une substantielle décote. Le bilan est, en dépit des commissions mises en place et des déclarations ministérielles volontaristes, hélas bien décevant. Je reste convaincue que la mise en place de baux emphytéotiques ou une vente à une foncière publique avec les fonds de la Caisse des Dépôts permettrait d’engager rapidement l’ensemble du programme de libération des terrains avec un taux de réalisation significatif de logements sociaux, évidemment en réussissant l’indispensable mixité sociale.

 

En tout cas, il parait indispensable – si l’on veut accélérer réellement cette libération des terrains – que soit instaurée une compensation systématique des propriétaires publics entre la valeur du foncier au prix du marché et une décote de 100% pour le logement social. Car, aujourd’hui, ce sont plutôt des dérogations à un bon niveau de décote qui s’installe, comme on le voit dans les accords signés notamment avec la SNCF et le ministère de la Défense.

Votre implication sur ce sujet crucial est indispensable pour une concrétisation effective de votre engagement.

La mise en œuvre effective de la loi SRU

La loi du 18 janvier 2013 a mis en application les principes de durcissement de la loi SRU, passant le taux de 20 à 25 % de logements sociaux. Cette nouvelle étape était nécessaire pour permettre une montée en puissance de la construction de logement sociaux mais surtout pour assurer la mixité sociale partout. Au moment où il nous faut consolider les valeurs de notre République, relever ce défi, combattre la ghettoïsation, assurer pour tous le droit au logement est vital pour l’avenir du pays.

Or trop de collectivités se défaussent, ne se conforment pas aux objectifs fixés, dès la loi du 13 décembre 2000 (SRU). Les sanctions sont rares, les procédures dilatoires et des délais complaisants sont trop souvent acceptés par les représentants de l’État. On passe de contrats d’objectifs en contrats d’objectifs pour, au final, retarder sans cesse la réalisation des logements prévus. Sans compter qu’il s’agit rarement de logements très sociaux.

Monsieur le Président, l’État doit, en la matière, affirmer par des actes son autorité.

 

Des réponses nouvelles pour les foyers en difficultés

Chacun peut observer un appauvrissement réel d’une partie croissante de la population. Il est notoire dans nos résidences, et pas seulement dans les grands quartiers d’habitat social. Non seulement il provoque une montée des impayés qui fragilisent nos organismes, mais il a d’abord, avec l’accroissement la précarité, des  conséquences humaines redoutables. Ce sujet est l’un des plus lourds que doit affronter notre pays et exige des choix politiques majeurs. Dans le domaine du logement, il impose tout une série de mesures qui vont du maintien d’un haut niveau d’aides personnelles au logement, en particulier dans le parc HLM, d’une politique de loyers plus bas avec de nouveaux outils, d’une maîtrise des charges – en particulier énergétiques –, mais aussi pour les plus fragiles d’une offre diversifiée, avec un accompagnement social adapté.

C’est dans cet esprit, que le mouvement HLM a proposé au gouvernement la mise en œuvre d’une opération « 10 000 logements HLM accompagnés » pour soutenir des projets innovants et généralisables. Les organismes ont répondu nombreux à cet appel, en lien avec le monde associatif et des collectivités locales. Mais, après un an, l’incertitude budgétaire est totale pour 2016, si bien que bon nombre d’équipes mobilisées sont l’arme au pied alors que les besoins sont grandissants.

Un mouvement HLM conforté dans son rôle d’acteur majeur du modèle républicain

Ces politiques de « stop and go », de grignotage budgétaire permanent, émoussent les meilleures volontés, découragent les plus motivés, décrédibilisent l’État, alors même qu’il en va de la lutte contre les exclusions et de la qualité du vivre ensemble.

Ce dispositif pluriannuel, en faveur des personnes les plus en difficultés, était validé dans l’agenda signé entre le Premier ministre et l’USH, il y a tout juste un an, à la tribune même de son congrès. Il prolongeait un accord établi avec son prédécesseur, Jean-Marc Ayrault, et fixait une feuille de route sensée donner visibilité et pérennité à l’intervention de l’État, du mouvement HLM pour atteindre des objectifs communs.

C’était aussi nécessaire après le vote de nombreuses lois successives qui impactaient la politique du logement social. Une certaine respiration législative et des garanties budgétaires s’imposaient. Mais à peine signé l’accord était remis en cause, dans les faits, par Bercy. Et le Premier ministre a annoncé une énième loi sur le logement, traitant de sujets, comme les attributions, déjà modifiées dans la loi ALUR et qui se mets tout juste en place.

Monsieur le président, pensez-vous cela raisonnable, vous qui souhaitez que l’ensemble des opérateurs économiques aient un environnement stable et qui prônez la simplification administrative ? N’est-il pas nécessaire d’observer une pause législative et d’appliquer notre feuille de route commune ?

Tout cela pourrait prêter à sourire, si l’accumulation de ces problèmes et les carences réitérées des politiques du logement n’avaient pas de graves conséquences à terme, en particulier une lente mais réelle érosion de notre pacte républicain.

Le monde HLM en est un acteur déterminant. Sans des progrès tangibles de l’accès de tous à un logement décent et à prix abordable, sans un brassage social – ce qui va à rebours de la spécialisation du logement social pour les seuls pauvres –, sans la poursuite du renouvellement urbain pour des quartiers de qualité et la mixité sociales dans les villes, sans des opportunités de promotion sociale pour les foyers populaires à travers l’accession sécurisée – celle-ci est en déclin et au mieux se maintient, la suppression de l’APL accession lui porterait un coup fatal –, sans une présence des gardiens, des salariés des organismes au plus près du terrain et des habitants, les valeurs de notre République auraient bien du mal à convaincre.

Vous savez mieux que quiconque, Monsieur le Président, que si la France possède de fabuleux atouts, le doute sur notre modèle social et républicain s’insinue trop souvent.

Alors, pour lui rendre toute sa force et pour qu’il entraîne tous nos concitoyens et notre jeunesse, il faut agir vite.

Je suis persuadée que vous aurez alors l’adhésion convaincue non seulement du mouvement HLM, mais de celles et ceux pour lequel il agit au quotidien.

Je vous remercie, Monsieur le Président, de votre attention et vous prie de croire à l’expression de ma haute considération.

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