Sécurité intérieure

La lutte contre le terrorisme : la révolution Macronienne n’est pas en marche…

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A chaque nouvel attentat terroriste, les présidents français annoncent la prolongation de l’état d’urgence et la préparation d’une nouvelle loi. Et Emmanuel Macron en dépit de ce qu’il avait initialement dit ne déroge pas à la règle.

18672872_10155088077221049_5163792707718238223_oL’état d’urgence, décrété depuis le 14 novembre 2015, est, suite à sa cinquième prorogation, en vigueur jusqu’au 15 juillet 2017. Le Conseil d’État répète depuis février 2016 qu’« il ne saurait être prolongé indéfiniment » sans menacer les libertés. Cette « banalisation de l’exception » a été présentée par le Garde des Sceaux lui-même le 15 mars 2017 comme « un risque pour la démocratie ». François Hollande est resté sourd aux appels de nombreux juristes, associations, et même de Jean-Jacques Urvoas qui demandait sa levée.

Emmanuel Macron vient de faire connaître, juste après le tragique attentat de Manchester, la création d’une task force anti-EI directement liée à l’Élysée, mettant ainsi en œuvre une de ses propositions de la campagne présidentielle. Plus surprenante est l’annonce d’une nouvelle prolongation de l’état d’urgence jusqu’en novembre, et plus encore celle d’une nouvelle loi pour combattre le terrorisme.

L’hypothèse d’une nouvelle loi n’avait pas été évoquée, au point qu’un des porte-parole de sa campagne, Benjamin Griveau, interrogé juste après le drame de Manchester, exclut une nouvelle législation et jugeait prioritaire le déploiement de moyens adéquates ! Ce n’est pas ce qui a été finalement retenu par le gouvernement.

Sur l’état d’urgence, la position d’Emmanuel Macron, initialement très opposé à sa prolongation, s’était déjà un peu amodiée durant la campagne.

Dans son ouvrage Révolution paru fin novembre 2016, Emmanuel Macron appelait à la cessation de l’état d’urgence : « indispensable au lendemain des attentats », car ayant a « permis que des mesures immédiates soient prises dans des conditions qui n’auraient pas été réunies sous un autre régime de droit », il était considéré que « sa prolongation sans fin, chacun le sait, pose plus de questions qu’elle ne résout de problèmes ». Et d’ajouter : « nous ne pouvons pas vivre en permanence dans un régime d’exception. Il faut donc revenir au droit commun, tel qu’il a été renforcé par le législateur et agir avec les bons instruments. Nous avons tout l’appareil législatif permettant de répondre, dans la durée, à la situation qui est la nôtre ».

C’est d’ailleurs aussi la position que j’ai défendue et compte bien encore soutenir au Sénat.

Mais, au cours de la campagne électorale, ses positions ont faibli. Le 5 mai 2017, dans Mediapart interrogé par Edwy Plenel le recul se précise « je ne crois pas que ce soit l’état d’urgence qui nous mette en situation de tension. (…) Je ferai le point avec les services de renseignement, si je suis élu, dès le début du quinquennat. S’il est avéré que ce que permet l’état d’urgence, à savoir justement ces perquisitions administratives, se justifie compte tenu de la menace et du niveau de risque, je le maintiendrai. S’il est avéré que cela ne sert plus à rien et qu’on est dans une situation où la surveillance des éléments les plus dangereux, les modes d’action hors d’état d’urgence sont aussi efficaces, je le suspendrai. Je n’ai pas de critères de principe. »

Ah… le bon vieux pragmatisme qui veut se libérer du poids des principes ! La « révolution » est donc bel et bien le retour à la pensée dominante et du politiquement correct ! Au passage, le président oublie qu’il y a en France un parlement et qu’il doit voter la prolongation de l’état d’urgence. Mais il est vrai que pour Emmanuel Macron le Parlement est considéré comme un empêcheur de décider vite, c’est-à-dire à ses yeux seul !

La façon dont les candidats de « La République en marche » sont cooptés est très révélatrice de son intention d’avoir une assemblée totalement inféodée. La « démocratie participative » s’arrête lorsqu’il s’agit de décider vraiment. C’est une aide à la décision, mas surtout pas un partage du pouvoir !

Si le Président de la République a reçu des services de sécurité des informations justifiant le maintien de l’état d’urgence et l’adoption d’une nouvelle législation – dont personne ne sait rien encore à ce stade (rappelons qu’au cours de l’année 2016 l’arsenal législatif antiterroriste renforçant les pouvoirs de la police et de la justice et durcissant la répression pénale a déjà été revu à trois reprises !!), il va falloir qu’il explique les raisons de ce revirement de position et donne des éléments tangibles censés démontrer que le cadre actuel ne permet pas d’agir efficacement.

Si le Président et son gouvernement se contentaient de termes vagues et généraux, alors nous serions en face de ce qu’il définissait encore le 5 mai dernier comme des « raisons d’affichage ». Pour ma part, j’ai de réels doutes et je crois que ni l’efficacité de la lutte contre le terrorisme, ni la défense de nos valeurs et des libertés publiques ne peuvent justifier cette sixième prolongation.

D’ailleurs, le Président du Sénat Gérard Larcher – personnalité peu suspecte d’entrer dans la catégorie « gauche laxiste » – a estimé mercredi 24 mai sur France Inter qu’il était légitime de mettre fin à l’état d’urgence d’ici le 15 juillet. Cette position ne tombe pas du ciel. Le rapport de l’Assemblée nationale sur l’état d’urgence (cf. le rapport n°4281 du 6 décembre 2016), tirait des enseignements objectifs de 17 mois d’état d’urgence qui plaidaient plutôt pour sa levée. C’est aussi pourquoi, lors d’une précédente prorogation, j’estimais que depuis le 27 juillet 2016, notre droit est, pour l’essentiel, calibré pour cette action de longue durée, notamment s’agissant des perquisitions menées sous l’autorité du procureur de la République. En revanche, les moyens à mobiliser ne sont pas nécessairement au rendez-vous pour relever ces défis et mettre en œuvre notre législation. Nous avons accumulé un énorme retard dans notre pays sur les moyens de la justice, mais aussi sur la façon pour les forces de police et de sécurité de s’adapter au mieux.

En la matière, les alertes de Marc Trévidic, ancien juge au pôle antiterroriste, étaient clairvoyantes : la loi Renseignement ou les révisions lourdes du code de sécurité intérieure et du code de procédure pénale, en prenant parfois des libertés avec nos principes, ne nous ont apporté aucun gain supplémentaire en termes de sécurité et de tranquillité.

C’est pourquoi plutôt que de modifier le cadre juridique en cours, je continue de proposer deux mesures principales :

  • Une loi programmation pluriannuelle pour la sécurité intérieure prévoira la montée en puissance des moyens humains, matériels, techniques des forces de l’ordre, de renseignement intérieur et de la justice ainsi que leurs missions prioritaires et le déploiement territorial.
  • Une réorganisation des services de renseignement en consolidant la présence humaine de terrain en particulier pour s’adapter aux enjeux du contre-terrorisme.

Je suis convaincue qu’il est parfaitement contre-productif de poursuivre une politique au fil de l’eau qui nous conduit à reconduire sans fin et sans stratégie cohérente un état d’urgence, dont les coûts et l’efficience sont sujets à caution. De même, il me paraît également inutile d’alourdir un arsenal juridique déjà surdimensionné et il serait particulièrement odieux et contre-productif d’initier des mesures contraires à l’état de droit, aux valeurs de la République et aux engagements internationaux de la France – voilà qui serait offrir une victoire morale insupportable à nos adversaires.

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