En 1993, après la lourde défaite de la gauche et mon premier poste ministériel, j’ai publié chez Ramsay un pamphlet Les cannibales de l’Etat qui montrait à travers moult exemples comment la technocratie gangrenait l’Etat et l’éloignait du peuple. Deux mesures pour moi intimement liées s’imposaient : la suppression de l’ENA, des grands corps d’une part et le changement de République : le passage à la sixième, d’autre part. Et oui déjà !
Les deux derniers chapitres « Technoland » et « De V à VI » me permettaient de faire des propositions qui demeurent totalement d’actualité. 15 ans plus tard, les mêmes enjeux demeurent, la même crise politique s’est approfondie. Que de temps perdu, que d’ambitions contenues et de frilosité entretenue. Alors cette fois ci, la gauche doit réellement changer en profondeur la prise de décision, l’exercice du pouvoir.
Pour indispensables que soient le renforcement structurel du rôle du Parlement et autres modifications institutionnelles, ils doivent impérativement être accompagnés d’un bouleversement de la culture dominante des élites administratives de ce pays, de leur diversification, de leur recrutement pour qu’elles soient plus proches du peuple, issues de milieux différents et des classes populaires, qu’elles aient foi en la République et ne passent pas leur temps à instiller un libéralisme généralisé dans toute action publique… Car, c’est bien un même moule qui matrice toutes les politiques qu’elles soient de gauche ou de droite depuis très longtemps, qui a cherché à tuer l’idée d’alternative et qui sujets par sujets, problèmes par problèmes répète à l’envi : Il n’y a qu’une politique possible ! Certes, ils acceptent des modifications à la marge, des emballages différents, mais pour l’essentiel, les choix stratégiques, une seule logique s’impose à eux et finalement à nous.
Etrange coïncidence, au moment où le débat sur la suppression de l’ENA est relancé par Bayrou, une belle brochette d’énarques socialistes – d’ailleurs parmi ceux qui justement nous ont fait faire tant de sottises et accepter tant de renoncements- prônent l’alliance entre le PS et le centre. Et pour cause, tout dans leur pensée, alignée sur l’ordre dominant, y pousse ! Surtout que ces bons esprits passent directement dans le camp qu’ils ont de fait toujours choisi ! Bon vent ! Les masques tomberont enfin !
Paradoxe, les meilleurs soutiens de Bayrou se trouvent chez ceux qu’il prétend faire disparaître ! Je doute qu’il puisse le faire, mais la gauche elle devra passer à l’acte. D’une certaine façon, il en va de son avenir et de celle de notre démocratie ! Vite la suppression de l’ENA, vite une sixième République.
PS : Les cannibales de l’Etat par MN Lienemann est sorti chez RAMSAY. Il sera accessible sur le blog la semaine prochaine.