L’Europe qu’il faut changer : la liberté d'établissement prime sur la liberté syndicale

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Dans un arrêt rendu le 11 décembre, la Cour de justice de Luxembourg a confirmé dans le droit européen le primat du principe de liberté d’établissement que sous-tend l’achèvement du marché unique européen, sur la liberté syndicale de salariés menacés dans leur emploi. Le traité de Lisbonne ne va que consacrer ce genre de dérive. Les législations nationales ne pourront plus s’opposer à cette logique si nous laissons ratifier le nouveau traité sans réorientation sociale majeure !

L’histoire n’est pas un conte mais un cauchemar lourd de conséquences pour l’avenir de notre modèle social : la Cour de Justice des communautés européennes a était interrogée par la justice britannique sur un conflit qui oppose la Fédération internationale des travailleurs du Transport (siège à Londres) à une compagnie finlandaise, la Viking Line, qui assure la traversée du golfe de Finlande vers l’Estonie. Viking Line voulait immatriculer un ferry en Estonie pour employer du personnel de bord estonien à des salaires inférieurs à ceux en vigueur en Finlande. 

Le syndicat de l’équipage, l’Union des marins finnois (FSU), s’est alors tourné vers la Fédération internationale des travailleurs des transports (ITF) qui entre autre se mobilise contre les abus des pavillons de complaisance. L’ITF a adressé une circulaire à tous ses affiliés leur demandant de ne pas entamer des négociations avec l’entreprise finlandaise Viking Line, ce qui a eu un effet dissuasif auprès des syndicats estoniens et mis en échec le projet de délocalisation. 

Une fois l’Estonie membre de l’UE, Viking Line a saisi en 2004 la justice britannique pour obtenir le retrait de la circulaire envoyée à ses adhérents par la Fédération des transports. La fédération et le syndicat finlandais ont alors interjeté appel et la Cour britannique a posé, avant toute chose, la question préjudicielle à la Cour de justice de Luxembourg. Pour la Cour européenne, les actions de ces syndicats "constituent des restrictions à la liberté d’établissement". Elles "ne sauraient être admises que si elles poursuivent un objectif légitime tel que la protection des travailleurs". La justice britannique doit donc maintenant vérifier si les emplois et les conditions de travail étaient "effectivement compromis ou menacés" par l’emploi du personnel estonien à bas coût…

Et oui on croit rêver : un patron peut imposer le retrait d’une circulaire syndicale au motif de la liberté d’établissement dans l’UE. Et ensuite, on a droit au discours des leaders européens sur l’importance du fait syndical. Bla, bla, bla.
La réalité est que c’est la même logique que celle de la directive Bolkestein, de l’AMI qui d’ailleurs va encore être renforcé par le nouveau traité. Un amendement modifie l’article 10A qui précise que «l’union contribue à la suppression progressive des restrictions aux échanges internationaux et aux investissements directs ainsi qu’à la réduction des barrières douanières et autres».  Ce texte était déjà dans le projet de constitution et durcit le traité de Rome dans un sens encore plus libéral, puisqu’il est ajouté les investissements étrangers directs. C’est l’ultime étape de la liberté totale d’établissement que rien ne doit entraver : ni les choix des Etats, ni leur législation, ni l’action des citoyens ou des syndicats….

Cette Europe là est celle que les français (et manifestement pas eux seulement) refusent. Ne laissons pas faire ! Si le nouveau traité passe la chance d’une réorientation profonde de l’Europe est reportée à des calendes grecques.

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