Retraites : la devoir de clarté de la gauche

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Point de vue publié dans Le Monde par Paul Quilès et Marie-Noëlle Lienemann (anciens ministres), David Cayla (économiste), Gérard Gaumé et Maxime Dumont (syndicalistes) ; tous les cinq sont membres du Conseil politique du club Gauche Avenir.

Depuis une vingtaine d'années, les replâtrages successifs des régimes de retraite n'ont répondu en aucune façon au problème de fond, tel qu'il est généralement posé : comment garantir à la fois le financement du système et le pouvoir d'achat des retraités ? Ils ont même, d'une certaine façon, aggravé les injustices et les inégalités de notre système.

Cette question complexe, préoccupation majeure des Français, mérite mieux que les approximations, les positionnements tactiques, les campagnes politiciennes et les discours mystificateurs. La gauche ne doit pas tomber dans ce panneau et, sous prétexte de prouver son "réalisme", l'asseoir sur de fausses solutions.

Il lui faut d'abord poser le bon diagnostic et rappeler quelques vérités peu fréquemment mises en avant. Ainsi, l'allongement continu de la durée de cotisation, l'indexation des pensions sur les prix (et non plus sur les salaires) et la remise en cause de droits sociaux spécifiques ont eu pour conséquence de faire fondre le niveau des pensions. Alors que la moyenne des pensions versées aux retraités actuels s'établit à 1 300 euros, de nombreux retraités (surtout des femmes) touchent moins de 1 000 euros par mois. Par ailleurs, plus de 600 000 personnes ne bénéficient que du minimum vieillesse, soit 677 euros par mois. Enfin, l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) a montré que la France est un pays très inégalitaire dans le versement des pensions.

La gauche doit aussi dénoncer l'idée, vieille antienne des tenants de la pensée unique, selon laquelle la répartition serait incompatible avec l'allongement de la durée de la vie. Plus on vit vieux longtemps, plus on touche de retraite et plus il serait difficile de la financer : l'équation paraît simple et imparable. On comprend que le gouvernement s'en saisisse pour faire peur. Il doit préparer une négociation difficile avec les syndicats de salariés dans le cadre du rendez-vous de 2010 et cherche à tout prix à faire passer pour une réforme l'allongement de la durée de cotisations des salariés.

Face à cette menace de régression sociale, la gauche doit au contraire défendre ses valeurs et montrer qu'elle n'adhère pas à cette logique. L'augmentation de l'âge légal de départ en retraite au moment où la crise fait exploser le nombre de chômeurs et où les générations de jeunes qui entrent sur le marché du travail ne trouvent pas d'emploi ne peut en aucun cas être une solution. Au mieux, cette méthode de "sapeur Camember" permettrait de combler le trou des régimes de retraite en agrandissant le trou de l'indemnisation des chômeurs et du RSA. Au pire, allonger la durée d'activité entraînerait un accroissement des inégalités entre les générations et entre les salariés du haut de l'échelle (qui pourront effectivement travailler plus et toucher une bonne retraite) et ceux du bas de l'échelle, qui sont les premiers à être licenciés à 55 ans et qui doivent alors se contenter d'une retraite incomplète.

Repousser l'âge de la retraite ne conduirait pas à un accroissement de la période de travail. En effet, depuis la réforme de 2003, malgré l'allongement de la durée de cotisation, le taux d'emploi des 55-65 ans n'a pratiquement pas bougé et se situe toujours en dessous de 40%. L'âge moyen de cessation d'activité, quant à lui, s'établit autour de 58 ans. Dans ce contexte, proposer de travailler jusqu'à 61 ou 62 ans est une fausse bonne idée, qui aurait pour conséquence de grossir les rangs des chômeurs et des retraités pauvres. Seule une minorité de cadres supérieurs pourrait alors bénéficier d'une pension complète.

La gauche ne peut pas accepter qu'une telle situation se maintienne, et elle doit refuser toute réforme qui conduirait à accentuer les inégalités et les injustices. Il n'est naturellement pas question de nier qu'il existe un problème de financement. De nombreuses solutions sont imaginables et il faut en débattre.

Par exemple, il est possible de faire participer davantage les revenus du capital au financement de la protection sociale. Pourquoi ne pas instaurer une cotisation spéciale pour les entreprises qui abusent du travail précaire et qui ne jouent pas le jeu des négociations salariales ? On peut aussi envisager de mettre à contribution les revenus non salariaux, tels que les primes, les bonus, l'intéressement et la participation, les stock-options ou encore les indemnités que reçoivent certains grands patrons. Tous ces revenus sont aujourd'hui pratiquement absents du financement des retraites.

Enfin, il ne faut pas craindre de proposer une hausse des taux de cotisations des employeurs et des employés, ce que suggèrent d'ailleurs les Français en premier lieu dans les sondages d'opinion. Cette hausse pourrait même être compensée par des augmentations salariales et une véritable politique d'emploi, dans la mesure où des salaires plus élevés et un emploi plus important facilitent le financement du régime de retraite.

C'est par un diagnostic et des propositions de cette nature, loin des analyses de la droite et du gouvernement, que la gauche crédibilisera sa démarche visant à bâtir un système de retraites plus juste et plus solidaire. C'est ainsi qu'elle pourra rassembler une majorité de Français.

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