Marie-Noëlle Lienemann était conviée par les socialistes du Charolais-Brionnais à s'exprimer sur le thème : "Face à la crise, quelle gauche pour demain ? "

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Creusotinfos le blog Creusot info a fait un compte rendu détaillé de cette soirée à Paray le Monial.

Marie-Noëlle Lienemann était conviée par les socialistes du Charolais-Brionnais à s'exprimer sur le thème : "Face à la crise, quelle gauche pour demain ? ". Elle a exprimé son espérance que la gauche française saura faire partager ses idées à ses homologues européennes et engagera une offensive idéologique internationale visant à faire admettre que le progrès social crée une croissance durable.
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Plus concrètement, elle veut notamment propager l'idée d'une harmonisation sociale et fiscale entre tous les pays européens, l'idée d'une protection de l'emploi européen par le biais de taxes douanières qui seraient réemployées ensuite pour le développement de la protection sociale des pays du sud et l'idée de promouvoir les services publics "qui socialisent les coûts que les entreprises ne paient pas"…
C'est à un brillant et long exposé que s'est livré Marie-Noëlle Lienemann le 15 juin à Paray-le-Monial. Elle a d'abord pointé des lacunes dans l'analyse que l'on a fait sur les cause de la crise. Elle a souligné que la crise des subprime aux États-Unis plonge ses racines dans le déséquilibre qui s'est instauré entre la rémunération du travail et du capital. Aux USA comme ailleurs, les exigences des fonds de pension quant au rendement de leurs placements, n'ont pu être satisfaites par les entreprises qu'en réduisant les rémunérations des salariés américains. Et pour que la consommation ne s'en ressente pas trop, pour que la machine économique ne se grippe pas, on a incité l'Américain moyen à s'endetter, notamment pour acheter sa maison. Mais avec les délocalisations d'activités et les destructions d'emplois qui continuaient, des millions de ces ménages fortement endettés se sont retrouvés au chômage et n'ont plus pu rembourser leurs emprunts.
Le départ de la crise financière internationale plonge donc ses racines dans la faiblesse de la rémunération du travail, la montée du surendettement chez les ménages, les destructions d'emplois du fait des délocalisations et l'absence de protection face aux biens qui sont produits à l'étranger, dans des pays à bas coût de main d'œuvre où les entreprises n'ont pas à financer un système de protection sociale et où elles ignorent les contraintes environnementales…
Toutes ces causes persistent encore aujourd'hui aux USA et se retrouvent aussi en France et en Europe.


Le monde de la finance ne se réforme pas

Marie-Noëlle Lienemann invite à faire constater que rien n'a changé et que nous dansons encore sous le volcan qui fume : "À la suite du dernier G20, on nous a annoncé qu'on allait moraliser le capitalisme, qu'on allait mettre des règles, exiger de la transparence, éviter les dérives, que les paradis fiscaux allaient disparaître, que les agences de notation seraient réformées. En réalité, rien de tout cela n'a été mis en œuvre ou des cacahuètes quoi ! Les paradis fiscaux sont censés être transparents si on les sollicite, si on sait déjà qui a mis son argent chez eux, et si on sait combien ! Donc évidemment, l'évasion fiscale que connaissent tous les pays, persiste. Les paradis fiscaux continuent à se soustraire à toute opération de contrôle. Les pratiques des traders n'ont pas été réformées, ni leur mode de rémunération.
Évidemment, cela a produit une accélération de la crise économique et de la crise fiscale et cela laisse planer la menace d'une grave rechute. C'est d'autant plus à craindre que les esprits restent figés dans des schémas de pensée erronés. Pour faire face à la crise, on continue de nous expliquer que la seule façon de sortir de cette crise, c'est de revenir sur nos avantages sociaux parce que nos entreprises ne seraient pas assez compétitives. C'est aussi de faire reculer le rôle de l'État en raison de l'importance des déficits publics"…

La crise provoque des replis identitaires

Pour Mme Lienemann, "nous ne sommes donc pas au bout de la crise et la question qui se pose est de savoir si nous sommes capables de faire naître une alternative.
Regardons l'histoire, la crise de 1929. Que s'est-il passé ? En Allemagne, la gauche s'est divisée et cette division a laissé le champ libre à Hitler. Idem en Italie. En France par contre, la gauche s'est unie et a constitué le Front populaire, empêchant l'émergence du fascisme. Le Front populaire a conduit une sortie de crise en portant son action sur le terrain du progrès social. Pas sur la régression sociale.
Nous sommes un peu aujourd'hui dans la même situation. Soit on considère que la sortie de crise est possible si on parvient à réinventer des formes nouvelles de progrès social, soit nous laissons nos divisions internes prendre le dessus et nous verrons se produire en France ce que nous voyons se produire un peu partout en Europe, c'est à dire les replis régionalistes et les tendances fascisantes s'installer. C'est le cas en Belgique, en Italie, en Hongrie, au Danemark… Dans les périodes de crise, il y a des peurs qu'il faut conjurer en redonnant espoir aux gens".
Selon Marie-Noëlle Lienemann, le premier défi devant lequel se trouve la gauche française aujourd'hui est donc de construire un rassemblement populaire en faisant prendre conscience à ses militants et à la population qu'une alternative est possible :"La gauche doit rendre crédible un nouveau modèle, une nouvelle façon de concevoir l'avenir. Évidemment, un programme crédible ne peut pas commencer par "demain on rase gratis"…
La gauche française  "naturellement résistante au libéralisme"

La député européenne continue : "Je considère qu'en France, on a une responsabilité et une chance particulière. La gauche française a été plus résistante que dans nombre d'autres pays. Ça ne tient pas à nos vertus personnelles. Ça tient surtout à nos fondamentaux : nous sommes un pays qui a toujours pensé que la souveraineté populaire est au dessus des lois divines et des lois du marché. Nous n'avons jamais pensé que les lois du marché s'imposaient face au vote des citoyens et à leurs arbitrages économiques et sociaux. Nous sommes un pays qui a toujours considéré que l'intérêt général était porté par l'État ou la puissance publique. Nous n'avons jamais considéré que moins d'État était le fin du fin de l'avenir des sociétés.
Enfin, nous sommes un pays qui n'a pas renoncé au concept d'égalité. Ça a failli. On a eu une période où, même à gauche, on a été tenté de préférer l'équité à l'égalité. Mais on voit bien que la France souffre aujourd'hui d'inégalités insupportables. L'égalité reste un objectif et c'est heureux".
Donc, pour la député européenne, le pays a des "fondamentaux" qui le prédisposent à mieux résister au libéralisme et la gauche est à une croisée des chemins : "Soit on laisse la droite faire une sortie de crise en en rajoutant dans le libéralisme, soit on est capable de s'appuyer sur les fondamentaux républicains, historiques et sociaux pour faire obstacle à cette dérive libérale.
Le dossier des retraites est emblématique de ce choix : on nous dit que notre compétitivité ne peut être préservée qu'au prix de la réduction du système de protection sociale. Nous, nous voulons au contraire garantir la retraite à 60 ans (comme un droit, bien entendu pas comme une obligation). En a-t-on les moyens ? La droite  assure que non. Pour elle, la retraite à 60 ans, c'est le cauchemar ! Le cauchemar pour 2050… Je m'excuse, mais on n'est déjà pas capable de prévoir les déficits publics à trois ans et les voilà qui nous inventent des déficits pour 2050 ! Il est quand même permis de douter de la fiabilité de prévisions à quarante ans. On nous vend du 2050, pour nous enfumer et nous faire peur. Il n'y a pas de quoi. Dans les scénarios plutôt pessimistes, pour équilibrer les régimes de retraite en 2025, il faudrait 45 milliards d'euros. Or, je vous rappelle que cette année, du fait des cadeaux fiscaux, on a fait un supplément de déficit public de 47 milliards d'euros. Il n'y a donc rien d'impossible.
Les attaques contre l'euro sont liées à ce combat. Ils veulent nous faire reculer sur nos systèmes de protectionsociale".
La rigueur est contre productive

L'Allemagne, elle, a cédé aux marchés. Marie-Noëlle Lienemann rappelle que "déjà sous le chancelier Shroeder, les salaires avaient été baissés et nombre d'avantages sociaux avaient été réduits, dont les allocations chômage. Certes l'Allemagne a retrouvé une bonne compétitivité industrielle et continue à bien exporter, mais la consommation intérieure et l'état social du pays sont dramatiques. Or quand il n'y a plus de consommation intérieure en Allemagne, c'est la France qui perd des marchés"…
Donc l'Allemagne a cédé aux sirènes du néo libéralisme et va à nouveau dans le sens des préconisations des marchés avec son plan de rigueur annoncé ces derniers jours, rigueur qu'elle veut aussi imposer à toute l'Europe. " La droite française l'accepte, dit Marie-Noëlle Lienemann. Elle est dans le même état d'esprit. Cette rigueur aura inévitablement un effet de décroissance car, comme nous ne sommes pas un pays très exportateur, si la consommation intérieure ne soutient plus la croissance, nous allons nous retrouver en dépression économique. Cette dépression va réduire les ressources en impôts de l'Etat et des collectivités locales et les cotisations pour les régimes de protection sociale… Voilà vers quoi la pression des marchés financiers nous préc

ipite : vers une spirale récessive. Ils nous disent : "Assainissez les comptes et après, vous pourrez reparler de croissance". Nous pensons l'inverse. Nous pensons qu'il faut soutenir la croissance grâce à laquelle on pourra retrouver des recettes fiscales qui nous permettrons d'assainir les comptes et de redistribuer les gains de la croissance".
Marie-Noëlle Lienemann souscrit à l'idée que "le progrès social et une juste redistribution des richesses créent de la croissance". Elle pense même qu'une juste redistribution des richesses aux gens qui ont un revenu modeste n'est pas une conséquence de la croissance mais sa condition. Pourquoi ? Parce que quand on donne de l'argent aux classes populaires, cet argent est en grande partie consommé plutôt qu'épargné et cette consommation se porte sur des produits de première nécessité qui ne sont pas importés, ce qui profite aux entreprises françaises et à l'emploi chez nous.
 
Réinventer l'économie mixte

Pour une sortie de crise rapide, le problème principal est de ne pas continuer à laisser filer l'emploi industriel et aussi agricole. Comment retrouver la main en ce domaine ? Marie-Noëlle Lienemann  plaide avec d'autres "pour un pôle public du crédit afin d'être sûr de prêter de l'argent aux entreprises qui en ont besoin et avec l'idée de rebâtir une politique industrielle durable, en se dégageant de l'obsession du rendement financier maximum et à court terme. Nous proposons aussi un fonds d'investissement industriel mais en tenant compte de la leçon du Crédit Lyonnais et en gérant ce fonds différemment.
Il faut réinventer ce qu'on appelait autrefois l'économie mixte c'est à dire une articulation entre les politiques publiques et le marché et redonner du lustre au secteur coopératif et mutualiste.
Redistribution des richesses, intervention de la puissance publique et vision à long terme en réintroduisant la planification… Tout cela est indispensable".

Préférence communautaire et taxes douanières

Pour protéger l'industrie, le PS veut imposer la préférence communautaire  afin de limiter les importations et se protéger par des taxes douanières qui fassent rentrer les produits étrangers sur le marché européen sensiblement au même prix que les produits européens équivalents. L'argent de ces taxes serait ensuite utilisé pour favoriser la naissance de systèmes de protection sociale dans les pays pauvres, de façon à parvenir progressivement à une harmonisation sociale progressive entre le nord et le sud.
Une autre mesure parait urgente à Marie-Noëlle Lienemann : " Il faut aussi relancer l'harmonisation entre les pays européens et rapprocher leurs niveaux de vie pour accroître la demande européenne. C'est d'autant plus important pour un pays comme la France, que 70% de nos échanges se font avec d'autres pays européens. Quand  l'Espagne, le Portugal et les pays Baltes étaient entrés dans l'Europe, on les avait aidés financièrement, notamment en finançant des infrastructures.
Mais on n'a pas poursuivit cette politique avec les derniers pays de l'Europe de l'Est qui sont entrés dans l'Union européenne (Pologne, Slovaquie, Hongrie, Roumanie, Slovénie). Le discours de Barroso, président libéral de la Commission européenne, a été de dire aux nouveaux entrants : "Votre chance c'est le dumping social. Vous allez attirer les entreprises européennes parce que vos salaires sont plus bas et vous allez vous enrichir". Les entreprises se sont bien installées dans les pays de l'Est, mais au fur et à mesure que les salaires augmentent, elles déménagent et vont plus loin : en Ukraine, en Égypte, dans le Maghreb… Cela crée des frustrations, des tensions et des votes fascisants dans les pays de l'Est. Avant même de traiter du problème de la Chine, il est fondamental de progresser dans l'harmonisation européenne. Il n'est pas acceptable d'avoir de tels écarts entre les SMIC des différents pays de l'Union européenne.  
Nous avons longtemps été seuls en Europe à porter cette idée. Même les autres partis socialistes n'en faisaient pas une priorité. Mais aujourd'hui, avec la crise, nous sommes rejoints par nos amis socio-démocrates. Car partout en Europe, la social démocratie qui s'était trop laissé influencer par les thèses libérales, est en crise profonde et n'attire plus les votes populaires. Nous devons redoubler d'effort pour faire partager notre façon de voir par les gauches européennes. Il nous faut mener une bataille idéologique et culturelle pour leur faire admettre qu'il y a une autre voie que celle qui consiste à aménager de façon cosmétique le néo libéralisme et les amener à nous rassembler sur un programme offensif.
Il nous faut faire tout cela à la fois. Quand on pose la question "Face à la crise, quelle gauche pour demain", la réponse est : il faut une gauche unie, une gauche de résistance qui défende les acquis sociaux (en premier lieu, les retraites) et une gauche qui essaie de penser la sortie de crise et de faire des propositions alternatives. Enfin, une gauche qui essaie de faire partager ses idées à ses homologues européennes et dans les grandes instance de gouvernance mondiale".
 
"Les services publics doivent contribuer à la création d'emploi"

Marie-Noëlle se veut rassurante : "Face à la droite qui veut nous faire peur, il faut se dire que la France a encore des ressources et notre pays reste attrayant pour les investisseurs étrangers. Quant on leur demande pourquoi ils viennent en France, ils répondent que c'est en raison de la qualité des service publics, c'est à dire du fonctionnement du téléphone, des transports du système de santé, de l'école. La deuxième raison pour laquelle ils investissent chez nous, c'est la bonne productivité horaire et la bonne formation de la main d'œuvre.
Les services publics sont un atout considérable pour notre économie. Ils socialisent un certain nombre de coûts que les entreprises ne paient pas. Elles paieraient ces services beaucoup plus cher à des privés. Les investisseurs savent bien que la privatisation et la concurrence ne débouchent pas sur des prix plus bas. Exemple : l'énergie électrique.
Par ailleurs, les services publics doivent contribuer à la création d'emplois. Nous manquons d'emplois dans les hôpitaux, dans l'Éducation nationale, dans la justice, dans les prisons, dans les douanes. Je ne veux pas dire que les services publics n'ont pas besoin de réorganisation, qu'ils ne doivent pas s'adapter, être adaptés. Mais la théorie de ne remplacer qu'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite est complètement absurde. Les services publics ne sont pas à considérer seulement comme un coût. Ils contribuent aussi à la compétitivité de notre économie et à rendre notre pays attrayant pour les investisseurs étrangers".

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