J’ai parrainé le 17 janvier 2013 au Sénat le colloque « Bangladesh 1971 : un génocide oublié » organisé par South Asia Democratic Forum

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Bangladesh: le génocide au nom de la religion
Issu de la partition de l’empire britannique en 1947, le Pakistan fut un projet géopolitique destiné à assurer l’endiguement de l’Union Soviétique, un rassemblement de territoires à majorité musulmane, et un État où son fondateur Muhammad Ali Jinnah pensait possible d’allier l’aspiration religieuse initiale avec des objectifs d’un État démocratique et donc laïque.
Après une partition houleuse et parsemée de nettoyages ethniques, son fondateur ayant précocement disparu en 1948, le Pakistan s´organisa comme « Etat Islamique » et connut sa première élection démocratique au suffrage universel en 1970, vingt-trois ans après sa fondation. L’Ourdou y était devenu la seule langue officielle, alors que cette langue avait un rôle secondaire dans le nouveau pays et qu’elle était peu connue de la partie la plus peuplée du pays, l’Orientale.
Les premières élections démocratiques de Décembre de 1970 donnèrent une majorité nationale à la Ligue Awami du Sheikh Mujibur Rahman, même si elle n’avait obtenu des sièges qu’au Pakistan Oriental, tandis que le Pakistan Peoples Party (PPP) gagnait la deuxième place, mais première au Pakistan Occidental (à ce temps-là, constitué par les provinces du Punjab et du Sindh) – et  que le Parti Awami arrivait en tête au Balûchistân ayant obtenu un résultat important dans les territoires du Nord-Ouest, seule région, en tous cas, où les islamistes avaient obtenu une majorité de voix.
Au niveau national les partis islamistes furent les grands perdants. Divisés en plusieurs listes – six ont obtenu plus de 3% des voix – ensemble ils ont fait 27,7% des voix, nettement en dessous du seul parti laïque majoritaire – 39,2% des voix. Comme le système électoral Pakistanais est un système majoritaire, inspiré de celui de la puissance coloniale – en termes d’élus, l’écart fut plus marqué encore,  les islamistes – toutes listes confondues – ayant obtenu 36 sièges contre les 160 de la Ligue Awami  ou les 80 du PPP.
En termes régionaux la fracture était aussi très forte. Le Pakistan Oriental était 100% Ligue Awami. Le Pakistan Occidental était largement PPP, le Balûchistân parti awami et seuls les Territoires du Nord-Ouest peu peuplés et périphériques étaient dominés par des partis islamistes.
Les Islamistes et les corps fondamentaux de l’Etat islamique – en commençant par les militaires – regrettèrent d’avoir permis cette expérience d’élections libres et, comme ce fut fréquemment le cas par la suite dans la partie du Pakistan restant sous sa tutelle (comme le Balûchistân où le Parti Awami fut contrecarré par des forces Islamistes), ils  décidèrent de prendre par la force ce qu’ils avaient perdu dans les urnes.
Outre la politique de soutien armé et doctrinaire de l’islamisme  qu’ils ont poursuivie dans les décennies suivantes, soit à l’intérieur du pays, soit chez leurs voisins d’Afghanistan et de l’Inde, ils décidèrent de promouvoir la « solution finale » pour ceux qu’ils  considéraient comme la plus grande menace : les cercles laïques et surtout ceux non-islamiques appuyant la Ligue Awami .
Au soir  du 25 Mars de 1971, le gouvernement militaire toujours en place, à travers ses forces militaires et  la principale organisation islamiste présente au Bangladesh, le Jamaat-e-Islami, commencèrent le nettoyage religieux et intellectuel du Pakistan Oriental ciblant Hindous et autres minorités tels que les cercles intellectuels de langue et culture bengali de tendance laïque.  Au cours des neuf mois que l’opération dura, ils causèrent la mort de près de 3 millions de personnes, poussèrent 10 millions de réfugiés à l’étranger et se rendirent coupables du viol de 300 000 femmes.
Ce génocide fut le plus grand après la deuxième guerre mondiale et n’a pris fin qu’avec l’intervention militaire indienne, à la suite de quoi le Pakistan Oriental est devenu indépendant et a pris  le nom de Bangladesh.
Bien que quelques voix en l’Occident aient  dénoncé ce crime contre l’humanité – comme par exemple le journaliste Anthony Mascarenhas réfugié du Pakistan Occidental au Royaume Uni  ou encore la chanteuse Joan Baez – l’Occident a toujours essayé de nier l’ampleur et l’importance du crime, tandis que le monde musulman a cru politiquement inopportun d’en tirer les conséquences.
Plus de quatre décennies après cette barbarie, on se demande comment il fut possible qu’un crime de cette ampleur – précurseur à plusieurs égards des carnages islamistes qui eurent lieu  après en Afghanistan, en Iran, et dans le reste du Pakistan voire un peu partout dans le monde musulman – a pu rester impuni jusqu’à nos jours.
L’accord de paix passé entre l’Inde et le Pakistan au lendemain de la guerre, en 1972, l’accord Simla n’estima pas important le jugement des crimes de génocide. L’accord tripartite de 1974 – auquel participa le Bangladesh – maintint les termes de l’accord bilatéral concernant l’avenir des 195 militaires pakistanais accusés du crime de génocide. Ils furent rapatriés au Pakistan Occidental théoriquement pour y être jugés (ce que ne fut jamais le cas, bien entendu).
Les milliers de Bangladeshi détenus au Pakistan exercèrent une forte pression en faveur du rapatriement des accusés pakistanais. En ce qui concerne les civils bangladeshi, une Cour Criminelle Internationale fut créée en 1973, mais ses procédures furent interrompues suite au coup militaire de 1975.
L’instauration du régime démocratique au Bangladesh fut approuvée par la Constitution de 1972 et la Ligue Awami  gagna les élections de 1973, mais son gouvernement fut de courte durée. En 1975 un premier putsch militaire tua Mujibur Rahman et toute sa famille. Sa fille, l’actuelle Premier Ministre et à cette époque jeune fille Sheikh Hasina Wajed, fut épargnée pour la simple raison qu’elle se trouvait à l’étranger au moment du massacre.
Des gouvernements militaires ou des gouvernements civils manœuvrés par les militaires vont se succéder jusqu’en 1990. Le général Ziaur Rahman sera le premier homme fort militaire et sera à l’origine du BNP, parti qui formera une alliance avec le principal parti auteur du génocide, le Jamaat-e-Islami, après des élections de 1991 qu’ils gagnèrent, alliance qui se maintiendra jusqu’à maintenant, dominant la vie politique.
Le parti traditionnellement laïque – la Ligue Awamy –  gagna des élections en 1996 et  resta au pouvoir jusqu’en 2001. Apparemment, il décida de donner la priorité à la persécution des auteurs du massacre contre la famille de Mujibur Rahman,  dont les principaux responsables furent jugés et condamnés pendant cette période.
Les procédures de 1973 ne furent reprises qu’après le retour de la Ligue Awami   au pouvoir en 2009, et se déroulent toujours. Elles se sont heurtées à une grande résistance de la part de l’opposition politique bangladeshi, ce qui est normal, vu  que les principaux instigateurs du génocide encore en vie, sont pour la plupart des responsables politiques du Jamaat-e-Islami et aussi dans une moindre mesure, du BNP. Le Pakistan, la grande majorité des pays islamiques et, ce qui est plus étonnant, le monde occidental n’ont pas apprécié non plus le rétablissement du tribunal.
Le Pakistan n’a pas changé substantiellement d’attitude et de position en ce qui concerne les rapports entre  religion et Etat, droits des minorités ou diversité culturelle et linguistique depuis les événements de 1971.
Le monde des pays à majorité Musulmane reste un monde où la démocratie est l’exception et a refusé de se confronter avec les faits de 1971. De l’Arabie Saoudite à l’Iran, malgré leurs divergences, malgré les changements de régimes, leur position  n’a pas changé et, même comme on peut le voir au Pakistan, il existe un concept d’Islam comme panacée pour tout justifier, même des crimes abominables contre l’humanité.
La position occidentale est, elle, la plus difficile à comprendre. En 1971, la diplomatie américaine de Henri Kissinger a appuyé sans regrets les forces génocidaires pakistanaises, allant jusqu’à leur faire parvenir des armes à travers l’Iran et la Jordanie en totale contravention à l’embargo à la fourniture d’armes au Pakistan approuvé par le Congrès des EUA à cette époque. À la base, on avait la traditionnelle realpolitik selon laquelle puisque le Pakistan était un allié et la Chine, un nouvel allié, l’Union Soviétique l’ennemie et l’Inde un allié de l’ennemie, il fallait agir en conformité. Les principes, les droits humains, les décisions démocratiques, tout cela était secondaire.
Plus de quatre décennies après ces tragiques événements, alors qu’ il n’y a plus d’Union Soviétique et que l’échiquier géopolitique de la zone est très différent, quand la démonstration des résultats pratiques de la logique du fanatisme islamique sont impossibles à sous-estimer après le 11 Septembre 2001, la position de l’Occident n’a  pourtant sensiblement pas changé ; les chancelleries occidentales plus importantes et ses proches ayant fait de leur mieux pour minimiser l’impact du redémarrage des travaux du Tribunal Criminel International du Bangladesh en 2010 ou même quelquefois pour les saboter.
Les arguments utilisés inversent la réalité des faits. On ne se demande pas comment un parti qui a activement collaboré au génocide de 1971 ne fut pas interdit – et il y a que l’extrême gauche sans représentation parlementaire au Bangladesh qui exige cette interdiction – mais on accuse la Cour d’être partisane puisqu’ elle prône la persécution des dirigeants d’un parti qui est dans l’opposition. C’est un peu comme si on accusait la procédure de Nuremberg d’être partisane et non acceptable parce qu’elle  aurait ciblé le parti Nazi dans ses démarches!
Si on constate un retard de plus de quarante ans dans ces procédures ce n’est pas pour critiquer ceux qui au Bangladesh et au sein de la communauté internationale ont laissé scandaleusement  un tel laps de temps passer sans faire aucune justice mais, au contraire, pour mettre en cause le principe même de la non prescription des crimes contre l’humanité.
Et pourtant, comme le dit par exemple Mr. Shahriar Kabir, il faut tout simplement regarder les événements d’il y a quelques mois avec la destruction d’innombrables temples hindous et bouddhistes et la persécution de ces minorités au Bangladesh, orchestrée par les mêmes réseaux, les mêmes logiques fanatiques religieuses et les mêmes appareils politiques qu’ont dirigé le génocide en 1971, pour comprendre que juger les auteurs du génocide de 1971 est nécessaire et urgent.
Justement, pour que la culture de l´impunité ne continue perpétuellement à faire des nouvelles victimes.
Bruxelles, 2013-01-16

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