Marie-Noëlle Lienemann pour Newsring: Non, la victoire de Merckel n’est pas une bonne nouvelle pour l’Europe

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Retrouvez ci-dessous la réaction de Marie-Noëlle Lienemann au débat sur Angela Merkel lancé par Newsring: la victoire d’Angela Merkel est-elle une bonne nouvelle pour l’Europe? N’hésitez pas à y participer d’ailleurs, c’est par ici: http://www.newsring.fr/politique/4397-la-victoire-dangela-merkel-une-bonne-nouvelle-pour-leurope/69069-merkel-est-dautant-plus-forte-que-la-france-nassume-pas-son-role-dalternative-en-europe

 Marie-Noëlle Lienemann photo cordier
Marie-Noëlle Lienemann Sénatrice (PS), ancienne ministre

Merkel est d’autant plus forte que la France n’assume pas son rôle d’alternative en Europe

 

 

Après sa large victoire aux élections législatives, Angela Merkel a indiqué lundi 23 septembre être «ouverte» à des discussions avec ses adversaires du parti social-démocrate (SPD) pour former une «grande coalition». Pour Marie-Noëlle Lienemann, sénatrice PS, le SPD ne peut pas «modifier la domination que [Merkel]  a l’intention de continuer à exercer en Allemagne». La France doit prendre «ses responsabilités» et «porter une vision européenne différente» explique-t-elle.

Le rapport de forces de Madame Merkel est tel que ce n’est pas l’apport du SPD qui va être de nature à modifier la domination qu’elle a l’intention de continuer à exercer en Allemagne.
La seule chose qui pourrait être positive – mais je ne crois absolument pas que la confusion d’une grande coalition soit bonne pour la démocratie d’un pays – ce serait que le SPD arrive à négocier la création d’un SMIC national qui s’imposerait partout en Allemagne. Ce serait une bonne nouvelle pour l’Europe, parce que cela supposerait que le pays le plus fort de l’Union européenne arrête le scandaleux dumping social sur lequel il a fondé sa reconquête du marché à l’intérieur de l’Europe, au lieu de développer ses marchés à l’extérieur.

Une mauvaise nouvelle pour la France

Cette réélection peut donner le sentiment que la force de Madame Merkel est invincible dans son pays et l’imposer comme le leader inéluctable de l’Europe. C’est pourquoi il est urgent que François Hollande prenne des initiatives pour exiger une réorientation de l’Europe.
Si la France, qui est le seul pays capable de créer une confrontation positive avec l’Allemagne, ne dit pas toute de suite son désaccord avec la poursuite de cette stratégie, Madame Merkel utilisera à l’extérieur ce renforcement intérieur.

La réélection de Madame Merkel est une mauvaise nouvelle pour la France, plus que pour François Hollande. Le fait que Nicolas Sarkozy ait été suiviste par rapport à Angela Merkel est l’une des raisons de sa défaite. Les Français ont bien compris que le modèle que les Allemands veulent imposer est un modèle qui n’est pas transposable aux autres pays et qui assoit la domination allemande.
Que les Allemands soient tentés de défendre cette position, on peut le comprendre, que les Français s’agenouillent devant est inacceptable. La droite n’a pas de leçons à donner car c’était au début de la crise que la France aurait dû avec force refuser cette spirale d’austérité enclenchée par le fameux traité TSCG. Si on a des reproches à faire à François Hollande, c’est de ne pas avoir assez rompu avec cette stratégie qui avait été actée par Nicolas Sarkozy.

La France a été trop complaisante à l’égard de l’Allemagne

Aujourd’hui, on est à des années-lumière de ce qui est nécessaire pour améliorer le sort de la grande majorité des Européens et pour restaurer le plein-emploi sur notre continent. Il y a aujourd’hui une vacuité terrible de la gauche en Europe et si ce n’est pas la France, avec son président de la République élu par une coalition de gauche, qui affirme qu’une alternative est possible, les plus faibles seront obligés de suivre faute d’avoir une nouvelle voie face à eux.
Je trouve que la France a été trop complaisante à l’égard de l’Allemagne et a eu tendance à mesurer son poids politique à l’aune de ses difficultés économiques. Ce qui est absurde, car le poids politique et économique de la France ne se mesure pas à un instant T mais s’inscrit dans l’Histoire. Nous restons la 5ème ou 6ème puissance mondiale, donc ce n’est pas le moment de se dire qu’on serait inférieurs à l’Allemagne.

Madame Merkel incarne toute une série de dérives dont elle n’est pas la seule responsable. Elle est arrivée à une période historique et elle a, à son tour, incarné totalement la logique précédente alors même qu’on était en pleine crise et qu’il eût fallu proposer une logique alternative. Elle n’est pas le problème. La vraie question c’est : est-il possible de constituer une nouvelle alliance politique majoritaire pour dire que les politiques qu’on suit depuis vingt ans ou trente ans sont des politiques de libre-échange généralisé, d’inégalités qui s’accroissent, de financiarisation de l’économie, et qu’elles sacrifient l’industrie et le modèle social au rendement capitalistique et à la mondialisation ? Peut-on changer cela ? Madame Merkel n’est que le dernier avatar de cette logique. Si les sociaux-démocrates vont mal, c’est en partie parce qu’ils avaient eux-même suivi ce type de logique. Et si nous avons parfois des difficultés avec notre électorat populaire, c’est parce qu’il y a eu des périodes pendant lesquelles la gauche n’a pas été suffisamment vigilante et offensive pour s’opposer à cette logique-là.

Pas seulement infléchir, mais proposer une stratégie politique alternative

Ce qu’on observe en Allemagne, c’est pas simplement la victoire de Madame Merkel, c’est la faiblesse de la gauche. La gauche est faible parce que le taux d’abstention demeure élevé, parce qu’une partie des électeurs, déçus par les partis traditionnels, se fait avoir par les partis hors-champs et enfin parce que la gauche allemande est encore moins capable de se rassembler autour d’un projet alternatif. L’incapacité à construire une sorte de plateforme commune entre Die Linke, le SPD et les Verts est un obstacle à toute stratégie alternative à la politique de Madame Merkel. S’il s’agit d’infléchir plus ou moins sa politique, les gens vont préférer l’original à la copie et vont choisir Madame Merkel. En période de crise une certaine polarisation s’opère et on penche vers les forts. La gauche est désunie et son absence de stratégie alternative au système dominant l’affaiblit et renforce du coup Madame Merkel.

Il ne faut pas entretenir à l’excès les divergences d’intérêt entre les nations. Chaque pays a son intérêt, sa culture, son génie propres. Il ne s’agit pas d’aller les opposer, il s’agit de veiller à ce qu’aucun n’impose son point de vue à tous les autres et qu’on retrouve une logique de projet collectif à élaborer en commun. C’est le véritable enjeu.
Angela Merkel a aujourd’hui le sentiment qu’elle détient la vérité révélée, que l’Allemagne est la puissance incontestée, et elle ne trouve personne en face d’elle pour lui tenir tête avec des visions d’intérêt général pour l’Europe à la fois fortes et déterminées. La tentation de la puissance devient donc une tentation de domination. Je ne veux pas entretenir l’idée que l’Allemagne serait par nature comme cela, je dis que la conjoncture politique donne des responsabilités à la France. L’Allemagne est d’autant plus forte que la France n’assume pas qu’elle a à porter une vision européenne différente. Donc qu’il faut faire un compromis en tenant compte de nos positions et que nous ne sommes pas voués à subir. Il faut un équilibre entre la tradition libérale allemande et la tradition française redistributrice.

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