Pour un grand plan d’intervention publique

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La France doit renouer avec la planification et le volontarisme mais en réinventant les méthodes d’intervention publique en mobilisant les Français.

Le gouvernement a tenu un séminaire sur la France de 2025. Bonne idée à condition de traduire concrètement cette intention de préparer l’avenir. Il doit s’agir d’affirmer un volontarisme efficace et d’arbitrer les changements prioritaires dont la société française a besoin. Pour l’heure, on voit mal les décisions prises si ce n’est peut être la présentation dans quelques semaines des plans de filières industrielles préparées par Arnaud Montebourg. Martine Aubry, dans la tribune publiée après l’université d’été de la Rochelle, insiste sur la nécessité de mobiliser les Français sur de grands projets. Voilà longtemps que je plaide pour la relance d’une planification qui doit trouver des formes nouvelles dans un monde ouvert et une France décentralisée. Cette exigence demeure indispensable pour notre pays et pour sortir nos concitoyens de leur pessimisme paralysant. D’ailleurs, nous avons défendu cette position avec Emmanuel Maurel et nos amis de Maintenant La Gauche aux différentes réunions plénières de l’université d’été de La Rochelle auxquelles nous avons participé.

La première exigence est donc  de préparer un nouveau plan pour les dix ans à venir et de l’acter par le vote d’une loi au Parlement, par exemple d’ici 18 mois, après une large consultation des forces vives du pays. Il faut insister sur le vote parlementaire car ce plan doit être un véritable engagement qui alliera la formulation d’objectifs quantifiés et les méthodes et moyens prévus pour y parvenir.
Dans la phase préparatoire, le rôle du commissariat général à la stratégie et à la prospective  pourrait être  essentiel. Il est chargé de « renouveler  l’approche de la stratégie et de la prospective économique et sociale afin d’éclairer les pouvoirs publics sur les trajectoires possibles à moyen et long terme pour la France en matière économique, sociale, culturelle et environnementale ». Il est associé à de nombreux autres conseils mais on voit bien qu’il n’a pas encore, dans sa mission, la responsabilité de proposer des actions d’avenir et des priorités de développement. Il convient donc soit de créer un organisme chargé de préparer ce plan soit de transformer ce haut commissariat qui ne saurait demeurer un organisme technocratique. Il faut associer les partenaires sociaux et  tous les acteurs de la société française. D’autant que les prises de positions de son dirigeant ne témoignent ni du volontarisme qu’on pourrait attendre, ni de sa capacité à nouer un compromis entre les contraintes actuelles et l’émergence de visions alternatives qu’impose une situation de mutations profondes et d’exercice du pouvoir par la gauche. Le plan ne saurait être un simple  exercice de projection sur l’avenir sans impliquer des changements immédiats. Cette façon de repenser les choix immédiats en les inscrivant dans le long et moyen terme  est essentiel pour remobiliser nos concitoyens et de restaurer une confiance du pays en lui même.

La seconde exigence est que le plan réponde aux enjeux prioritaires, lance de grands projets, définisse des objectifs crédibles et dégage des moyens concrets et suffisants, dès à présent, pour les atteindre.

On peut déjà lister quelques enjeux majeurs :
– la réindustrialisation du pays, priorité absolue
– la modernisation technologique, l’innovation
– la transition écologique et énergétique
– le recul des inégalités, de la pauvreté
– de nouveaux droits pour les salariés et une reconnaissance de leur rôle décisif dans l’entreprise
– la consolidation de la protection sociale en conservant l’idéal du CNR et garantir à tous les droits fondamentaux en particulier le droit au logement.
– des services publics performants garant de l’égalité des citoyens et des territoires mais aussi atouts de la performance économique
– l’intégration républicaine et une ambition absolue pour la réussite de l’école publique et de la formation professionnelle.
– la restauration des capacités d’intervention publique et collective sur l’économie et garantir une société de croissance soutenable et de plein emploi.
Pour chacun de ces objectifs deux ou trois actions prioritaires doivent être retenues.

La troisième exigence est, qu’une fois énoncés des objectifs, soit défini un chemin pour y parvenir et prises des mesures immédiates en cohérence avec ces volontés. Ce ne peut pas être « demain, tout ira mieux » et aujourd’hui on continue comme avant.
Car ce que les Français mesurent parfaitement est que si nous poursuivons les politiques définies depuis des années au niveau européen et en cohérence avec la mondialisation libérale alors le projet républicain social qui doit être actualisé, s’adapter à la période mais qui demeure la grande espérance des Français, aura le plus grand mal à s’imposer. En effet, les fondamentaux de ces politiques monétaristes du libre échange et de la concurrence généralisés promeuvent l’inégalité, l’individualisme, le court terme et l’affaiblissement de l’Etat et de l’intervention publique. Ainsi un Plan devra, pour être crédible, engager des ruptures par rapport au passé.
Prenons quelques exemples significatifs :
– définir de véritables programmes de filières industrielles avec un soutien à la recherche, des commandes publiques si besoin, des protections judicieuses face à la concurrence étrangère. Ces projets doivent faire l’objet d’accord avec les partenaires sociaux du secteur concerné et en particulier avec les organisations syndicales. Ils doivent  ne plus concerner que les grandes entreprises comme cela fut trop souvent le cas par le passé mais aussi les TPE-PME en favorisant l’émergence de grosses PME et entreprises de taille intermédiaire qui manquent souvent à notre tissu économique. Ces programmes de filières auront besoin d’aides publiques nationales et locales. On peut, comme l’a fait Obama, financer des centres de ressources technologiques et d’innovation, mettre en œuvre  du capital public et impliquer fortement la BPI qui demeure trop rivée aux critères habituels des autres banques. Le CICE pourrait être réservė aux filières qui signent de tels plans et qui ne sauraient négliger les formations, les qualifications et l’implication des salariés.
Le gouvernement annonce des plans de filières. Espérons qu’ils auront la force de tels engagements et qu’ils définiront concrètement leurs impacts réels en terme d’emplois industriels en France, de relocalisation etc. Il faut ouvrir de nouvelles usines dans notre pays.
A l’évidence la prise en compte de la transition énergétique et écologique doit être au cœur de ces nouveaux projets. Mais rendre encore plus coûteuse l’énergie alors que la hausse de son prix a contribué a faire fuir de France et de l’UE des  entreprises électroniques intensives serait une grave erreur. D’autant qu’il faut observer que ces entreprises n’ont pas délocalisé dans les pays émergents mais au Canada, par exemple, qui a vu exploser sa production de gaz à effet de serre. Bilan nul pour la planète et catastrophique pour nos capacités industrielles. Il convient donc de réfléchir a des politiques tarifaires différenciées adossées à des objectifs réalistes de réduction des pollutions par secteur.
S’agissant de la transition énergétique, il faut être conscient que la simple mise en œuvre d’avantages fiscaux ne suffira pas permettre les travaux d’économies d’énergie dans le logement. Il faut préciser les travaux dans bien des cas, financer des diagnostics systématiques et sérieux partout. De ce point de vue , les collectivités locales ont su innover, par exemple par la création de SEM, de régies adaptés à ces exigences.
Dans ce domaine, comme dans la programmation de construction de logements sociaux, on ne peut en rester à des dispositifs nationaux censés permettre d’atteindre des objectifs et de constater quelques années plus tard que, faute d’engagement réel de toutes les collectivités locales concernées, les retards se sont accumulés. Aussi il convient de voter des lois de programmation qui, après les avoir  largement associées, imposeront concrètement aux collectivités locales ce qu’elles doivent atteindre dans des délais prévus.

J’ai sur ce blog suggéré une démarche avec deux lois successives pour la construction de logements. Il faut  territorialiser les objectifs, prévoir des sanctions pour les collectivités comme pour l’État, en cas de défaillance manifeste. On ne peut plus s’en tenir à des incantations sans suivre comment progressivement les objectifs des plans progressent. Il en va de la crédibilité de l’action publique.
– promouvoir l’innovation dans les services. Là aussi de grands projets s’imposent.Un exemple: la France championne du monde des outils d’intelligence artificielle, de e-learning, de progiciel et simulateur/ répétiteur en formation professionnelle. Comme un serpent de mer, la réforme de la formation professionnelle est sans cesse reportée car les partenaires sociaux redoutent une ponction massive de Bercy sur leurs crédits et que les professions veulent pouvoir disposer d’outils en faveur des salariés de leurs secteurs. Or, nous le voyons, les technologies de formation apportent un bouleversement considérable des méthodes d’apprentissage. Le e-learning, l’usage des progiciels, des simulateurs, de l’apprentissage sur internet etc.. se développent a une vitesse considérable et sont déjà très utilisés dans de nombreux pays. Nous devons nous fixer pour objectif que la France soit à pointe dans ces domaines. Et là, il faut associer des chercheurs, des développeurs, des pédagogues mais aussi et en premier lieu les entreprises, les professions et les salariés. On devrait imposer qu’immédiatement tous les organismes de collecte et gestion des fonds de la formation professionnelle consacrent 10% des fonds à de tels projets utiles et spécialisés dans leurs branches. Une coordination pourrait être organisée par un centre national qui veillerait à éviter les doublons, à assurer les complémentarités et associerait aussi les initiatives des régions qui devraient à leur tour, consacrer des fonds, en particulier une part de la dotation décentralisée, sur des programmes de cette nature. La France est un pays qui compte de nombreux jeunes, qui doit compter sur le haut niveau de qualification et de productivité de sa main d’œuvre. Ces grands projets sont l’indispensable complément au redressement de notre système éducatif initial. Il y a là d’immenses opportunités de créer des emplois, d’exporter des progiciels mais aussi de revaloriser le travail manuel et industriel qui s’est considérablement transformé.

Ces exemples montrent que l’État, la puissance publique, doivent retrouver leur fonction anticipatrice, mobilisatrice et interventionniste, en appui et soutien de projets collectifs. Bref il est urgent de réinventer le Plan et surtout de le décider. Notre croissance doit être qualitative, promouvoir un nouveau modèle de développement écologique riche en gisements d’emploi. On ne saurait attendre qu’elle vienne d’abord et principalement de l’extérieur. Nous avons le devoir de la soutenir, de l’entretenir de l’intérieur du pays mais aussi de l’orienter !

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