Intervention de Marie-Noëlle Lienemann dans la discussion générale sur l’économie sociale et solidaire

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Intervention de Marie-Noëlle Lienemann dans la… par MN-Lienemann

Votre loi, monsieur le ministre, va faire date : elle représente une nouvelle étape et, vous l’avez dit, un changement d’échelle pour l’économie sociale et solidaire. Elle s’inscrit dans la lignée des lois de 1901 sur les associations, de 1947 sur les coopératives ou d’autres encore. Elle présente en effet l’énorme avantage d’être structurante, globale et de porter une vision d’avenir.

Le groupe socialiste attache une grande importance au fait que l’économie sociale et solidaire ne soit pas simplement considérée comme un supplément d’âme, comme une petite économie que l’on cultiverait tranquillement sous cloche. Selon nous, elle fait partie des trois grands piliers de l’économie contemporaine, de l’économie plurielle. À côté de l’économie classique des entreprises capitalistes et du service public – il existe encore –, l’économie solidaire forme ce que Jacques Delors appelait le « tiers secteur », un secteur coopératif, mutualiste, d’économie sociale. C’est pourquoi nous pensons que c’est en articulant ces trois piliers que nous pourrons développer une croissance créatrice d’emplois, répondre aux besoins de nos concitoyens et relever les défis énergétiques et écologiques.

L’économie sociale et solidaire revient souvent à la mode en temps de crise, parce qu’elle a fait la preuve de sa robustesse. À partir du moment où une partie des bénéfices sert d’abord à assurer la pérennité de l’entreprise, celle-ci résiste mieux. On la trouve donc plutôt attractive, mais, une fois que les choses vont mieux, on a tendance à considérer que, finalement, l’économie classique dite de marché doit à nouveau dominer.

Il est donc très important d’installer dans la durée, de manière forte et structurée, de nouveaux moyens juridiques et financiers pour assurer le développement de l’économie sociale et solidaire, tout en affirmant avec exigence les valeurs qui fondent sa légitimité. Deux dérives doivent cependant être évitées : d’un côté, la marginalisation, qui ferait de l’économie sociale et solidaire une économie à part, et, de l’autre, la banalisation, qui consisterait à dire que, face aux contraintes économiques sociales du marché – car on est quand même dans le secteur de la concurrence –, il faut parfois passer légèrement outre l’exigence de gouvernance démocratique ou d’autres éléments importants.

Voilà pourquoi le projet de loi doit réaffirmer l’identité et le contour de l’économie sociale et solidaire, les exigences à son égard et les forces que l’on veut valoriser en son sein. Tel est l’objet de l’article 1er.

Au sein du groupe socialiste, nous sommes très attachés à la réaffirmation de l’importance du statut de l’économie sociale et solidaire, qui ne dit pas tout mais doit être consolidé. De ce point de vue, il convient de rappeler que l’économie sociale est composée de sociétés de personnes et non de sociétés de capitaux. Je ne redirai pas à quel point ce changement structurel est essentiel.

Nous sommes également très attachés à la démocratie : « un homme, une voix », dit-on un peu rapidement. L’économie sociale et solidaire est une économie plutôt pérenne et elle partage des objectifs communs souvent fortement liés à l’intérêt général. C’est en raison de l’existence de cette dynamique que l’agrément « entreprise solidaire d’utilité sociale » est fondamental.

Monsieur le ministre, vous avez eu raison de déposer ce texte sur le bureau du Sénat pour son examen en première lecture. Le développement de l’économie sociale et solidaire est de plus en plus lié à un ancrage territorial.

À une époque où tout est mondialisé, où nos entreprises se délocalisent si facilement, où notre production industrielle est si vulnérable, il est très important de compter dans notre tissu économique des entreprises qui, parce qu’elles associent les salariés et sont liées à des initiatives locales, auront à cœur de produire dans les territoires, pour eux et en lien avec eux.
Cela ne signifie pas que la capacité de ces entreprises est restreinte ; en effet, de très grandes entreprises et coopératives françaises exportent. On peut être ancré dans son territoire, attaché à l’emploi local, au sort des travailleurs, défendre une cause et des valeurs et, dans le même temps, être leader mondial dans son secteur.

Derrière cet enjeu se pose la question de l’économie locale. Mais l’entreprise coopérative ou mutualiste n’est pas la seule qui puisse apporter ce genre de réponse : les associations ont joué un rôle majeur dans le développement local. Je pense à l’économie circulaire, que M. le rapporteur a évoquée. Qui aurait cru qu’en récupérant de vieux vêtements ou des objets usagés les chiffonniers d’Emmaüs deviendraient les pionniers d’une nouvelle vision du monde où la récupération des matières premières est essentielle ?
Cet argument vaut également pour l’accueil des enfants, l’éducation populaire, le handicap, les services à la personne. L’économie classique peut évidemment s’emparer de ces domaines, mais il est tout à fait essentiel que des secteurs restent attachés à la finalité première de leur action et non aux profits qu’ils pourront tirer de cette activité pour verser des dividendes.

Oui, l’économie sociale et solidaire est une richesse, un soutien à la croissance durable ! C’est aussi une façon de faire vivre l’idéal républicain. On parle beaucoup de crise de l’engagement, mais la plupart de ceux qui œuvrent dans ces associations s’engagent de façon bénévole, militante, civique, tout en faisant preuve d’un réel professionnalisme et en s’ingéniant à être inventifs. Cette richesse n’est pas donc seulement économique, elle est aussi humaine ; elle allie responsabilité, solidarité, performance et efficacité.

Je dois tout de même reconnaître que l’économie sociale et solidaire n’est pas le monde des Bisounours. Elle est également confrontée à des contraintes économiques et financières, ce qui nous oblige à trouver des réponses nouvelles pour y faire face. Ce monde peut aussi être confronté à l’usure du temps, aux difficultés et aux habitudes, au point d’oublier une partie de ses valeurs. De ce point de vue, tout ce qui tourne autour de la gouvernance démocratique est fondamental.

Pour ma part, et nombre de mes collègues socialistes partagent mon opinion, j’estime que la question des banques coopératives et mutualistes aurait mérité un travail spécifique. Nous avons essayé de l’entamer au moment de l’examen de la loi bancaire. Vous nous aviez alors donné rendez-vous à l’occasion du présent projet de loi. Or, aujourd’hui, nous ne retrouvons pas tout à fait nos petits.

Nous souhaitons alerter le Gouvernement sur la nécessité de garantir aux sociétaires ou aux coopérateurs, qui font la richesse de la banque mutualiste, l’accès à toutes les informations et de leur donner l’assurance de rester des acteurs déterminants dans les choix de la banque. D’autres logiques, notamment financières, ne doivent pas prendre le dessus. Je ne citerai pas les dérives qui se sont produites en ce domaine, mais chacun les a en tête. D’ailleurs, dans le monde des banques coopératives et mutualistes, cette préoccupation commence à être prise en compte par les sociétaires et les banques elles-mêmes. J’ai un petit regret à cet égard, mais nous aurons l’occasion d’en débattre.

Monsieur le ministre, vous ouvrez une piste nouvelle avec une vision que vous appelez « inclusive » : l’entrepreneuriat social. Le groupe socialiste y est favorable. Reste que les bornes ne doivent pas trop enfermées, sinon l’émergence de l’entrepreneuriat social sera impossible. Pour autant, l’élargissement ne doit pas être l’affadissement : gardons-nous, par référence à une expression anglo-saxonne, du « social washing ». C’est pourquoi nous présenterons des amendements sur le suivi et le contrôle des immatriculations, ainsi que sur le principe de « lucrativité limitée ». Un certain nombre d’éléments ont déjà été pris en compte par M. le rapporteur, mais certaines précisions s’imposent pour que nous soyons d’accord à ce sujet.

J’en viens aux dispositions concrètes les plus essentielles que nous voulons soutenir.

Je commencerai par les fameux articles 11 et 12, à savoir le droit offert aux salariés d’être informés au moment de la transmission de l’entreprise. Personnellement, je ne comprends pas pourquoi ce sujet, qui me paraît évident, fait l’objet de telles crispations.

D’abord, j’observe – et cela compte pour le groupe socialiste, monsieur le ministre – que les cinq organisations syndicales sont favorables à ce projet de loi. Toutes l’ont approuvé, même celles des cadres. En effet, les cadres sont des acteurs déterminants en cas de reprise. Ils ont besoin, ils le savent, d’être en possession d’éléments d’information.

Ensuite, j’entends partout, au sein du patronat comme dans les rangs de l’opposition, mettre en avant le dialogue social, de surcroît au sein de l’entreprise. Or, s’il est bien un moment où le dialogue social doit s’instaurer, c’est lors du changement de propriétaire de l’entreprise. Car ceux qui ont le plus intérêt à la survie de l’entreprise, ce sont les salariés ! Il est donc fondamental de les informer. D’ailleurs, dans le modèle allemand, qu’on nous cite toujours en exemple, toutes les entreprises – je ne parle pas des entreprises de cogestion –, en tout cas toutes celles qui comptent au moins cinq salariés, et dans ce pays la plupart des entreprises sont plutôt de grosses PME, ont l’obligation d’informer les salariés en amont de la reprise.

Honnêtement, je ne comprends pas ce blocage. Quoi qu’il en soit, monsieur le ministre, vous aurez le plein et entier soutien du groupe socialiste.

Le temps m’étant compté, je n’engagerai pas maintenant le débat sur un amendement que je porte à titre personnel concernant la reprise privilégiée par les salariés. Il répond à un engagement du Président de la République, mais M. Anziani a évoqué ce qu’il pensait être un obstacle constitutionnel. Pour ma part, j’ai déposé une proposition de loi, et je transmettrai à mon collègue les arguments contraires. Pour l’heure, je retiens l’avancée considérable que constituent, d’une part, votre texte, monsieur le ministre, et, d’autre part, l’idée de notre excellent rapporteur d’informer régulièrement les salariés afin de préparer la reprise de l’entreprise.

Un autre élément important, tout le monde l’a souligné, porte sur les nouveaux outils en faveur du monde coopératif, notamment le dispositif d’amorçage. Toutefois, nous souhaiterions disposer d’un délai un peu plus long pour en favoriser l’efficacité. Quant à la révision coopérative, nous présenterons des amendements afin d’éviter qu’elle ne devienne standardisée à cause d’acteurs prêts à vendre clés en main une pseudo-révision coopérative. Aujourd’hui, qu’il s’agisse des coopératives d’HLM, agricoles ou des SCOP, la dynamique de révision coopérative doit être diversifiée et renforcée.

Je terminerai en évoquant brièvement deux points.

Le premier concerne l’outillage territorial. Il est très important d’institutionnaliser le rôle des CRESS et des pôles territoriaux de coopération économique. Il nous faut des outils favorisant une action efficace.

Le second point a trait aux outils financiers. Ce texte n’est certes pas une loi de finances. Néanmoins, il doit créer des outils à l’instar de ceux que notre collègue Germain a cités.
À cet égard, je voudrais rappeler à nos collègues ayant tendance à dénoncer les grands avantages fiscaux que la Cour de justice des communautés européennes a toujours affirmé qu’il était légitime que l’économie sociale et solidaire puisse bénéficier d’aides fiscales et financières particulières, afin de compenser son handicap, celui de ne pas appartenir à l’économie de marché et de ne pas avoir accès aux marchés financiers.

Pour nous, l’essentiel n’est pas là. L’essentiel, c’est l’aspect humain de l’économie sociale et solidaire !

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