Contre l’évasion fiscale, il faut une riposte majeure

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Pour la sénatrice socialiste, « il faut désormais des actes, des législations, des outils qui témoignent d’une détermination sans faille » à lutter contre l’évasion fiscale. Elle qui a été membre des deux commissions d’enquête sur la fraude et l’évasion fiscale et sur le rôle des banques et des acteurs financiers dans l’évasion des capitaux, avance six « décisions majeures » à prendre d’urgence comme la « protection des lanceurs d’alerte ».

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Il y a près d’un mois, le scandale HSBC (dit SwissLeaks) éclatait. Puis l’on a appris que des entreprises publiques, elles aussi, faisaient de « l’optimisation fiscale » pour payer moins d’impôts en France. Ce coup de projecteur, rendu possible par une poignée de courageux, nous oblige. Il nous oblige à passer de la stupéfaction à l’action.

Certes, après l’affaire Cahuzac, un renforcement de la législation et la création d’un parquet financier ont constitué une première étape. Mais nous sommes encore loin du compte et ces nouveaux scandales sont là pour nous le rappeler. C’est bien parce que les institutions bancaires ne se sentent pas inquiétées qu’elles participent aussi activement à l’affaiblissement de nos Etats, en pillant leurs recettes et en obérant leurs capacités d’intervention. L’effort fiscal pèse alors sur les citoyens et entreprises qui n’ont pas les moyens de ces contournements, ou qui jugent civique et légitime de payer leur contribution à la vie du pays. Il en va du pacte républicain.

Ces scandales ne sont qu’une goutte d’eau dans un océan d’opacité financière : 180 milliards d’euros, pour un seul établissement bancaire, sur une période de deux ans à peine, sur les comptes de quelques 130 000 fraudeurs. Parmi ceux-là et à côté, 590 milliards d’euros d’avoirs français seraient dissimulés dans les paradis fiscaux et s’agissant des entreprises françaises une perte de recettes estimée entre 60 et 80 milliards d’euros par an, soit peu ou prou le budget de l’Education nationale.

LES COUPS DE MENTON NE SUFFISENT PAS. IL FAUT DÉSORMAIS DES ACTES, DES LÉGISLATIONS, DES OUTILS

Lors du discours du Bourget, François Hollande avait frappé les esprits en indiquant que « son véritable adversaire, c’est le monde de la finance ». Or c’est bien la finance qui nous a déclaré la guerre, aux Etats, aux peuples, avec des dispositifs toujours plus ingénieux d’évasion fiscale, avec des mécanismes chaque jour plus réactifs qui anticipent nos législations.

Symbole de la toute-puissance de la finance sur les Etats, l’ampleur de l’évasion fiscale et l’incapacité à la combattre révèle notre faiblesse collective. Une guerre nous est déclarée, et nous n’y répondrions pas. Dans le contexte de crise économique et sociale, d’affaiblissement du périmètre de l’intervention publique du fait des programmes d’austérité, cette faiblesse devient coupable.

Voilà un des champs d’action majeur où l’autorité de l’Etat doit être rapidement restaurée. Les coups de menton, les déclarations comminatoires ne suffisent pas. Il faut désormais des actes, des législations, des outils qui témoignent d’une détermination sans faille, immédiate et inscrite dans la durée : il faut des résultats.

Certes, une action européenne s’impose et la France doit prendre la tête de ce combat décisif pour l’avenir de l’Union européenne, mais elle a aussi des dispositions majeures à prendre dans l’Hexagone en se libérant du poids des lobbys bancaires si puissants au sommet de l’Etat et dans la citadelle de Bercy.

COMMENT SUPPORTER QUE CERTAINS DE NOS VOISINS CAUTIONNENT D’ABRITER DE GRANDES LESSIVEUSE

Nous devons faire de l’Europe une zone sans fraude. Comment supporter que certains de nos voisins cautionnent d’abriter de grandes lessiveuse où se mêle l’argent du grand banditisme, du terrorisme, avec celui de l’évasion fiscale organisée et encouragée ? Comment accepter que les multinationales jouent des divisions à l’intérieur de notre continent pour renforcer leur profit au détriment des citoyens ? Mais pour inverser la donne, le temps sera long.

En premier lieu, la France doit soutenir, vraiment, la création de la taxe sur les transactions financières et sur l’ensemble d’entre elles, ce qui permettrait de mieux connaître les flux et donc de mieux les contrôler, sans compter les recettes générées. Quand on voit les jeux de dupes et les retards accumulés sur ces sujets au niveau européen, on mesure qu’on ne saurait se contenter d’attendre les calendes grecques.

Alors il faut ouvrir une ère nouvelle en France dans le combat contre la fraude fiscale et rendre plus difficile la prétendue optimisation fiscale, qui n’est autre qu’une fraude fiscale rendue possible par les failles du système. L’expérience récente a montré que six décisions majeures s’imposaient ici et maintenant :

1) Faire sauter le « verrou de Bercy », en mettant fin au monopole des poursuites de l’administration fiscal. Depuis 2013, la Cour des comptes a averti le gouvernement que cette particularité était« préjudiciable à l’efficacité de la lutte contre la fraude fiscale ». Cessons de préférer la transaction à la répression. Seules 103 actions en justice auraient été engagées sur les 3 000 Français que contient la liste HSBC. La fraude fiscale ne peut plus être le seul domaine où la justice n’a pas l’initiative des poursuites judiciaires. Il faut pour ce faire renforcer les parquets financiers et instaurer un lien direct entre l’action des agents fiscaux et les procureurs dès qu’une fraude est constatée.

2) Protéger les lanceurs d’alerte. Un cadre protecteur, de type autorité administrative indépendante qui incite et sécurise, doit voir le jour. La législation a certes évolué mais sans donner de réelle perspective attractive. Il faut garantir une immunité à ceux qui se verraient poursuivis en révélant des informations contraires aux intérêts privés ainsi dérangés mais favorables à l’intérêt général.

3) Créer une task force contre l’opacité financière et un haut-commissariat à la protection des intérêts financiers publics. Un groupe opérationnel, de type pôle interministériel, qui réunisse les personnels compétents des ministères concernés (Finances, renseignement, Intérieur, etc.) et prenant appui sur l’expertise des lanceurs d’alerte, serait un atout décisif et réactif pour notre pays. sur un plan plus global, La commission d’enquête sénatoriale sur l’évasion fiscale préconisait en octobre 2013 la création d’un haut-commissariat qui aurait aussi cette fonction de veille et d’anticipation pour adapter au plus vite nos textes législatifs et réglementaires.

4) Mettre en œuvre des sanctions dissuasives pour les établissements bancaires qui jouent le jeu de l’évasion fiscale. Instaurons une obligation systématique, pour les établissements bancaires étrangers qui ont des relations avec les banques françaises ou une filiale en France, de déclarer à l’administration fiscale l’identité, les soldes et les montants transmis des ressortissants personnes physiques ou morales ayant un compte dans leur établissement à l’étranger. Sans attendre la mise en œuvre de l’échange automatique d’informations, prenons cette mesure qui ne sera efficace que si elle est assortie de sanctions en cas de manquements comme le retrait de la licence bancaire de l’établissement fautif. De la même manière, le démarchage pratiqué dans ces établissements doit être un délit d’incitation à la fraude.

5) Engager la deuxième étape de la loi de séparation des activités bancaires et obliger le cantonnement des filiales toute activité bancaire réalisée avec des contreparties situées dans les paradis fiscaux, avant leur interdiction qu’il faut obtenir au plus vite au niveau européen. On mesure le chemin qui reste à parcourir quand on voit que les Bermudes et Jersey viennent d’être retirés de la liste des Etats non coopératifs en matière fiscale !

6) Dénoncer et renégocier la convention fiscale bilatérale avec le Luxembourg, la Belgique, mais aussi avec d’autres pays de l’UE. Des mesures offensives doivent être prises sur les prix de transferts et la mise en œuvre du droit de suite. Les décisions fiscales doivent être prises à l’unanimité des Etats membres et ne sont pas de compétence communautaire directe. Ce sont bien des échanges bilatéraux qui organisent nos règles mutuelles. La récente « affaire McDonald’s » montre l’urgence d’une initiative politique majeure qui oblige les Etats européens à sortir de leur coupable hypocrisie.

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