Evasion fiscale

Public Sénat : « Au Sénat, un colloque dénonce les «connivences» entre le monde de la finance et la politique »

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MNL_Public_Senat_colloque_evasion_fiscale_18-06-2015Les sénateurs Marie-Noëlle Lienemann (PS) et Eric Bocquet (PCF) dénoncent la «porosité» entre politique et monde bancaire, noms à l’appui. Avec la députée Eva Sas (EELV), ils veulent aller plus loin dans la lutte contre l’évasion fiscale et la régulation de la finance.

Parfois, de simples chiffres disent beaucoup : d’un côté, le plan d’économie de 50 milliards d’euros que réalise le gouvernement d’ici 2017. De l’autre, le manque à gagner dû à l’évasion fiscale en France. «Entre 50 et 80 milliards d’euros de recette qui manque chaque année à la France», rappelle le sénateur communiste Eric Bocquet, auteur d’une commission d’enquête du Sénat sur le rôle des banques dans l’évasion fiscale. Il était aux côtés de la sénatrice PS Marie-Noëlle Lienemann pour un colloque sur la «nouvelle étape pour lutter contre l’évasion fiscale et réguler la finance», ce jeudi à la Haute assemblée. Dans la salle, on trouve aussi Hervé Falciani, ancien salarié de HSBC, devenu lanceur d’alerte sur l’affaire des comptes en Suisse non-déclarés, Swissleaks.

«On n’a pas toujours le soutien du gouvernement sur la question de l’optimisation fiscale des entreprise

Eva Sas, députée Europe Ecologie-Les Verts qui travaille sur ces questions, souligne que les deux tiers de l’évasion fiscale viennent des entreprises, un tiers des particuliers. Sur ce dernier point, des progrès ont été faits. Les échanges automatiques d’information entre pays, prévus pour la Suisse en 2018, ont déjà prouvé leurs effets. «37.000 contribuables se sont dénoncés et ont rapatriés» leurs avoirs, souligne la députée écologiste. 2 milliards d’euros ont été récupérés en 2014.

Mais pour les entreprises, les choses sont beaucoup plus lentes. «On n’a pas toujours le soutien du gouvernement sur la question de l’optimisation fiscale des entreprises» regrette Eva Sas. Les choses sont difficiles à faire bouger. Le problème est le même, dès qu’on touche au monde de la finance. Pour expliquer cette inertie, Marie-Noëlle Lienemann met directement en cause les compromissions qui existent entre pouvoir politique et pouvoir bancaire. «En France, nous avons une porosité entre les décideurs de Bercy et le monde bancaire, qui freine considérablement, voire empêche de beaucoup mieux séparer les activités spéculatives et les activités bancaires normales, ce qui fait que les lois sont très modérées. Nous allons proposer de rendre impossible le passage de la haute fonction publique vers les banques et cette espèce d’aller-retour» affirme la responsable de l’aile gauche du PS. La sénatrice fait référence à la loi de séparation bancaire, une promesse de campagne de François Hollande, dont le résultat était a minima et inquiétait à peine les banques.

Nicolas Namias : de Matignon à Natixis

Le monde de la finance «n’a pas de nom, pas de visage» avait dit François Hollande lors de son célèbre discours du Bourget, en 2012. En cherchant bien, il en a, s’amuse à souligner Olivier Berruyer, spécialiste de la finance et blogueur, qui a «décidé d’être un peu taquin» et d’illustrer la «porosité» dont parle Marie-Noëlle Lienemann.

Exemple avec Nicolas Namias, «fils de Robert Namias, ancien patron de l’info sur TF1, et frère de Fabien Namias, directeur général d’Europe 1», décrit Olivier Berruyer. Le parcours de Nicolas Namias est plein de changements : de 2004 à 2006, il travaille à la direction du Trésor, puis de 2006 à 2008 il est commissaire du gouvernement auprès de l’Autorité des marchés financiers. En 2008, premier passage dans le privé, au sein du groupe Banque populaire Caisse d’épargne (BPCE) où il dirige le pilotage de l’analyse et de la performance. 2012, Jean-Marc Ayrault est nommé à Matignon. Il choisit alors Nicolas Namias comme conseiller pour le financement de l’économie. «Il s’occupe de la réforme bancaire», explique Olivier Berruyer, dont on sait ce qu’il adviendra. En 2014, retour au bercail puisque Nicolas Namias est nommé directeur de la stratégie de Natixis, la banque de financement et d’investissement de BPCE…

Françoise Bonfante : après UBS, nommée à l’AMF par Moscovici

Le sénateur Eric Bocquet dénonce aussi durement ces «connivences entre monde de la finance et monde politique». «Ça amène au vote pour les extrêmes. La démocratie pourrit avec ce système», dénonce le sénateur PCF, qui y va aussi de son exemple : le cas pour le moins éclairant de Françoise Bonfante. C’est l’ancienne déontologue d’UBS France, banque poursuivie en justice et suspectée d’avoir incité ses clients français à la fraude fiscale en Suisse. Fin 2013, Pierre Moscovici, alors ministre de l’Economie, décide pourtant de nommer Françoise Bonfante à la Commission des sanctions de l’AMF. La nomination fait des vagues et Pierre Moscovici se ravise deux mois après.

Autre exemple : David Myatt, consul général de France sur l’île de Jersey, haut lieu de l’évasion fiscale. «Il travail dans la finance. Il représente BNP-Paribas dans les îles anglo-normandes», souligne Eric Bocquet. David Myatt est aussi membre du Jersey bankers association.

«Alerter l’opinion»

Pour les sénateurs, ces liens entre monde bancaire, monde politique et appareil d’Etat sont source de compromissions et de conflits d’intérêt évidents. Il complique la lutte contre les excès de la finance. Pourtant, les idées ne manquent pas pour «aller plus loin» : donner plus de moyens aux services fiscaux, qui ont perdu de nombreux postes de fonctionnaires, «conditionnalité des aides aux entreprises» en fonction de l’évasion fiscale, «assiettes fiscale européenne commune» pour aller vers un taux d’impôt commun, souligne Eva Sas, etc. Les parlementaires comptent déposer des amendements dans le budget 2016 sur ces questions.

Pour peser et faire bouger les choses, il convient surtout d’avoir l’opinion avec soi. «Il faut l’alerter», insister Marie-Noëlle Lienemann, par une pétition à caractère référendaire par exemple. «Ça peut rassembler les Français». Reste que le sujet n’est pas toujours des plus payants électoralement. La lutte contre la finance passera par la bataille de l’opinion.

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