Troïka

Pourquoi je ne vais pas voter l’accord imposé aux Grecs

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Oui, la France doit être solidaire du peuple grec : nous devons le dire haut et fort.

Non, notre pays ne peut accepter qu’un peuple soit mis sous tutelle et que l’austérité, qui a échoué partout, lui soit imposée quand la restructuration de sa dette est exclue par l’accord («le sommet de la zone euro souligne que l’on ne peut pas opérer de décote nominale sur la dette») et que ce dernier prévoit au mieux un hypothétique allongement des «périodes de grâce et des délais de remboursement».

C’est pourquoi je m’abstiendrai

Je ne veux pas ajouter ma voix ni à ceux qui à droite vont refuser toute aide à la Grèce, comme dans le Nord de l’Europe, ni à ceux qui expliquent qu’enfin Tsipras a dû se rendre compte des réalités et qu’une seule politique est possible en Europe.

Notre vote est indicatif et intervient en fin de course. On peut regretter que l’exécutif français n’ait pas souhaité obtenir un soutien en amont pour créer un rapport de force face aux faucons du Grexit et aux tenants de l’orthodoxie austéritaire.

En tout cas, notre vote doit être l’occasion pour le Parlement français d’envoyer un message à nos partenaires. Pour nous l’affaire n’est pas finie et l’aide à la Grèce doit être accordée. Mais certaines conditions doivent être supprimées et la restructuration de la dette garantie.

Le Président et le gouvernement doivent se faire l’interprète de la solidarité du peuple français et de son insatisfaction profonde, de nos désaccords et de l’exigence préalable de la restructuration de la dette.

Cet accord est mauvais pour la Grèce et il sonne le glas d’une certaine idée de l’Europe.

L’Europe actuelle court à sa perte. Avec ce qui vient de se passer, ce n’est plus l’Europe pour laquelle nous sommes engagés qui prend forme mais tout le contraire.

Des signes inquiétants se manifestaient déjà depuis plusieurs années et déjà la démocratie était fragilisée quand les critères du pacte de stabilité faisaient office de politique économique indépassable. Le TSCG allait plus loin dans l’ordo-libéralisme, prévoyant sanctions et coupes budgétaires automatiques pour les États défaillants. Mais là, un pas de plus est franchi avec la  mise sous tutelle d’un pays exsangue et une stratégie punitive pour des raisons idéologiques et pour céder à quelques égoïsmes nationaux.

Les propos de l’économiste  Paul Krugman sont très révélateurs:

  • «Ce que nous avons appris, ces dernières semaines, c’est qu’être membre de la zone euro signifie que les créanciers peuvent détruire votre économie si vous sortez du rang».

Même aux USA, où la cessation de paiement de la ville de Detroit ou de la Californie n’a pas créé les déchaînements de mépris, ni l’hystérie disciplinaire qu’a dû subir la Grèce, l’éditorialiste du Wall Street journal commente avec justesse ce qui , selon lui «restera comme l’une des démarches diplomatiques les plus brutales de l’histoire de l’Union européenne, un bloc construit pour favoriser la paix et l’harmonie et qui menace désormais publiquement l’un de ses membres de ruines, s’il ne se rend pas».

Alors l’accord signé, comme le dit Tsipras, sous la contrainte est proprement scandaleux mettant sous tutelle jusqu’au parlement de ce pays pour l’avenir mais aussi pour le passé puisqu’il exige  l’abrogation de la quasi-totalité des lois votées depuis l’arrivée au pouvoir de Syriza.

Cet accord est mauvais et ne règle rien. C’est reculer pour mieux sauter !

Cet accord ne prend aucun engagement effectif sur la restructuration de la dette grecque. Il spolie le pays de ses biens publics en obligeant des privatisations pour un montant de 50 Milliards appauvrissant encore davantage la Grèce.

Les mesures exigées vont non seulement accroître les souffrances et drames sociaux mais aussi faire augmenter la dette et tuer la croissance. Avec les dirigeants actuels de l’Europe, ce ne sont pas leurs politiques d’austérité et de libéralisme débridé qui sont en cause mais toujours ceux qui la mettent en œuvre, soit parce qu’ils le font insuffisamment, soit parce qu’ils ne sont pas bon gestionnaires. Nulle remise en cause, nulle réorientation : la seule voie qu’ils préconisent est une discipline de fer pour imposer, s’il le faut contre l’avis des peuples, leurs dogmes, gravés dans des traités jugés intangibles. Le mythe de la discipline stricte, du respect des règles avant l’esprit de solidarité et de justice est une dérive historique bien connue qui finit mal.

Tout ça va mal finir. Le plan ne marchera pas, on nous expliquera qu’on a payé pour rien et évidemment ce sera de la faute des Grecs. L’air est connu.

Arrêtons d’accréditer la thèse de la seule irresponsabilité du peuple grec. La crise grecque a éclaté le 21 octobre 2009 quand le ministre grec des finances a annoncé un déficit public de 12,5 % du PIB au lieu des 3,7% attendus.

Deux plans de sauvetage qui furent des échecs se sont succédé. La dette grecque s’élève à plus de 315 milliards d’euros soit 175% du PIB grec. Le PIB a chuté de 237 milliards en 2009 à 179 milliards en 2014. Les salaires ont été diminué d’un tiers dans la fonction publique et le secteur privé. Le revenu des ménages a baissé de 35%. Le nombre de fonctionnaires a été réduit d’un tiers de 2009 à 20014. Un quart des entreprises grecques ont fermé, Le chômage atteint 25,7% celui des jeunes 50%. Bravo la Troïka !

Alors certes ce pays a besoin d’une réforme fiscale d’envergure pour faire payer les plus riches et d’un Etat solidifié qui fonctionne bien. Mais rien dans les mesures prévues n’y concoure. Au contraire. Monsieur Juncker et son ami Schaüble ont beau jeu de se lamenter sur le non-paiement des impôts par les armateurs grecs lorsque le Luxembourg les accueille les bras ouverts dans son paradis fiscal, privant la Grèce de recettes tant nécessaires! Ils ont même poussé le vice jusqu’à proposer à Tsipras que ce soit le Luxembourg qui accueille le fonds de gestion chargé des 50 milliards de privatisations !

Cessons l’hypocrisie, le gouvernement Tsipras est le seul qui a une réelle volonté de s’attaquer aux privilèges, il a pris des engagements électoraux dans ce sens contre tous ceux pour qui Bruxelles a toujours eu de yeux de Chimène.

Mais ce qui s’est joué va bien au-delà de l’affaire économique, c’est une guerre politique contre tous ceux qui osent s’opposer à l’ordre en place, à la domination allemande.

Pendant longtemps j’ai cru que cette dérive était celle de la droite allemande et de Madame Merkel, je savais comme beaucoup que Monsieur Schaüble incarnait une aile dure et partageait l’analyse de toute une partie des économistes allemands qui veulent éjecter l’Europe du Sud de la zone Euro.

Mais l’attitude de Sigmar Gabriel et de Martin Schulz montre qu’hélas le SPD se laisse tenter par ces dérives. Heureusement, les syndicats et la DGB les ont mis en garde contre l’austérité, mais le résultat est là : les sociaux-démocrates allemands n’ont pas fait entendre une voix forte de solidarité avec la Grèce et d’exigence de restructurer la dette.

Oui c’est une forme de guerre contre la possibilité d’une politique alternative qui réoriente les choix macro-économiques. Le cours actuel de l’Union et de l’Eurogroupe accroît les inégalités entre Etats et dans chaque pays. Cette spirale conforte les puissants et marginalise ou contraint les faibles à s’aligner. Les déséquilibres se creusent partout et la France les laisse perdurer.

C’est un coup de force pour tuer dans l’œuf tous les changements que nous exigeons en Europe et pour lesquels les Français nous ont mandaté.

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