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Urgences à l’hôpital : Agnès Buzyn ne répond ni aux enjeux d’avenir ni aux très graves problèmes immédiats

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En avril 2019, Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé, osait affirmer sur le plateau de Public Sénat que la grève dans les urgences de plusieurs hôpitaux parisiens n’était pas due aux conditions de travail ! Cinq mois et 249 sites en grève à travers tout le pays plus tard, les problèmes d’agressions et d’insécurité d’abord mis en avant par la ministre, pour réels qu’ils soient, ont été à juste titre relégués au second plan. Car l’ampleur des problèmes va bien au-delà. Pour répondre à l’augmentation continue du nombre de patients, multiplié par deux en 20 ans, et supérieur à 21 millions en 2017, Mme Buzyn a annoncé hier rien de moins que ce qu’elle baptise un « pacte de refondation ».

Or il y a loin de la coupe aux lèvres ! Et surtout les annonces du lundi 9 septembre – sans être inutiles – tombent parfaitement à côté des principaux enjeux auxquels sont confrontés personnels et patients des urgences hospitalières et de leurs revendications les plus importantes : création de postes, ouvertures de lits en aval, amélioration de la rémunération des personnels et de leurs conditions de travail et du coup combattre l’hémorragie de recrutement.

Le plan Buzyn ne répond pas aux problèmes les plus cruciaux des urgences et aux revendication des équipes

Pas réellement de moyens supplémentaires mais des redéploiements qui n’iront pas principalement aux urgences

Les 754 millions d’euros et les douze mesures du « plan » seront en réalité étalé sur 3 ans (2019-2022), dont 150 M€ pour l’année 2020. Elles viennent compléter les premières mesures prises avant l’été pour un montant de 70 M€ (dont 50 M€ sont destinés à financer une prime de risque mensuelle de 100 euros net pour les paramédicaux des urgences, et que toucheront désormais également les assistants de régulation médicale). Les moyens supplémentaires annoncés lundi devraient concerner à hauteur de 630 M€ « des renforts, en ville comme à l’hôpital, de médecins et soignants », mais sans aucune traduction précise en termes d’effectifs.

En réalité, cet argent ne va pas aux urgences et il ne s’agit que de redéploiements. Car ces crédits supplémentaires seraient dégagés en économisant sur d’autres postes, de manière à ne pas toucher à l’objectif national de dépenses d’assurance-maladie (ONDAM), l’enveloppe fermée qui contraint les dépenses de santé. Ainsi Christophe Prudhomme, membre de la CGT et porte-parole de l’Association des médecins urgentistes de France (AMUF) déplore : « Si certaines mesures méritent discussions, il s’agit de redéploiement budgétaire, ce qui est contradictoire avec les annonces ». Les personnels réclament en effet légitimement un ONDAM à 5%, soit 4 milliards d’euros supplémentaires dans le budget de la santé. Il faut savoir que l’essentiel des économies de dépenses publiques qui ont été engagées depuis des années l’ont été principalement et massivement dans la protection sociale et l’hôpital avec de graves détériorations à la clef. Aussi, prétendre améliorer la situation des urgences à moyen constant pour l’hôpital public est une vaste fumisterie.

Pas d’ouverture de lits !

L’une des principales entourloupe des annonces de Mme Buzyn est la nature du financement prévu. Si c’est pour déshabiller un autre service, cela revient à transférer le problème. Les difficultés des urgences, c’est le haut de l’iceberg, mais tout l’hôpital est très malade et les urgences subissent de plein fouet ce rationnement des soins et fermetures de lits. Médecins et soignants des urgences sont unanimes pour dire qu’ils n’arriveront pas à réduire l’attente, améliorer les conditions de prise en charge sans ouvertures supplémentaires de lits dans les hôpitaux. Et d’ailleurs la rotation très rapide des malades dans les lits provoque aussi parfois une succession d’allers et retours à l’hôpital avec passage aux urgences.

Le plan lui-même traite la périphérie des problèmes, avec de sérieux doutes sur l’efficacité des annonces

La mise en place du service d’accueil SAS demeure très floue, voire aléatoire, et en tout cas n’aura pas d’effets à court terme. Or il faut des décisions opérationnelles rapidement

Il s’agit d’ici à l’été 2020, selon la ministre de créer un service d’accès aux soins (SAS). Objectif théorique de ce « service distant universel », accessible par téléphone ou par Internet : « Répondre à toute heure à la demande de soins des Français » et obtenir 24h/24 un conseil médical et paramédical, de prendre rendez-vous pour une consultation avec un médecin généraliste dans les 24 heures, de procéder à une téléconsultation, d’être orienté vers un service d’urgences ou de recevoir une ambulance. Si le coût du dispositif est déjà connu (340 M€ sur 3 ans, soit près de la moitié du plan annoncé !!), ses modalités ne seront précisées qu’en novembre (aura-t-on un numéro unique ou une cohabitation avec le 15 ?). Autre interrogation : combien faudra-t-il de médecins libéraux pour faire fonctionner un tel système ? Où les trouvera-t-on ? Dans de nombreux territoires, en ville comme à la campagne, cela sera quasiment impossible.

La ministre a commencé la réunion avec les professionnels en expliquant que le vrai problème c’était le manque de médecins traitants. Or, dans toutes ces propositions, elle ne fait rien de convaincant pour enrayer la désertification. Ainsi le SAS ne résoudrait pas le problème, car si on manque de médecins libéraux, on ne fera que le déplacer. Sans compter qu’avant que ce nouveau système soit en ordre de marche, il faudra du temps – au moins quelques années. Cela ne règle en rien les difficultés actuelles.

La reprise d’annonces déjà réalisées comme les maisons médicales de garde (10 M€… pas énorme !)

Une partie des annonces reprennent des dispositifs déjà programmés. 50 maisons médicales de garde accueillant des médecins libéraux seront ainsi financées d’ici à la fin de l’année « à proximité directe » de tous les services d’urgences totalisant plus de 50 000 passages par an. Il s’agit pour le ministère de développer une offre de soins libérale prenant en charge une partie des activités actuellement gérées par les urgences. D’ici à la fin de l’année, tous les médecins de garde devraient donc disposer de terminaux permettant de pratiquer le tiers payant sur la part Sécu. L’idée est bonne mais à l’évidence ne suffira pas à décongestionner les urgences.

Des liens nouveaux entre les Ephad et les hôpitaux : rien n’est possible à moyens constants dans les deux structures – 175 millions sur plusieurs années pour mise en place seulement en 2024 !

Les hôpitaux devront contractualiser avec les Ehpad afin de mettre en place des filières d’accès direct des personnes âgées, afin de ne pas faire des urgences la porte d’entrée – souvent éprouvante – de l’hôpital. Mais l’on peut s’interroger sur l’efficacité d’un tel dispositif d’une part si l’on augmente pas les lits en hôpital en particulier en gériatrie car c’est déjà ce qui provoque des attentes parfois interminables dans les urgences. Et d’autre part souvent faute de postes dans les Ephad.

Il est plus sûr d’envoyer aux urgences des personnes qui auraient besoins de soins et de surveillance renforcés, tout se tient. Le flux tendu partout et tout le temps renvoie sur les urgences tous les dysfonctionnement. Pour mémoire, la CGT revendique la création de 40 000 postes dans les Ephad.

La création de poste de gestionnaires de lits (les seules créations envisagées) sont une réponse très très partielle, insuffisante et contestée par les professionnels hospitaliers. Aucune réponse aux besoins s de 10 000 postes évalués par le collectif inter-urgences

Les établissements devront par ailleurs tous optimiser la gestion de leurs lits d’hospitalisation, par le biais de l’embauche de gestionnaires de lits et la mise en place de logiciels de prédiction des besoins. C’était déjà une annonce d’Agnès Buzyn au début de l’été. C’est la réponse très macronienne, technocratique à souhait : il n’y a pas vraiment besoin de créations de lits mais il faut orienter les patients sur les lits disponibles avec des aiguilleurs qui ne sont pas liés aux services. Or les malades ne sont pas des pions et leurs soucis médicaux sont souvent complexes. Des expérimentations ont déjà eu lieu et mettent en évidence des points de blocages, en particulier lorsque la communauté médicale n’est pas d’accord, car cela revient à ne plus affecter des lits par services mais directement au niveau de la direction de l’hôpital, ce qui réduit encore la place des praticiens et médecins dans les choix au service des patients. En tout cas, c’est une façon déguisée de justifier l’injustifiable: ni création de lits, ni création de postes !

Rien de significatif pour améliorer la rémunération, les conditions de travail des urgentistes

Au-delà de la prime mensuelle de 100 euros annoncée en juillet, qui ne répond pas à l’indispensable revalorisation structurelle de ces professions : La revendication est de 300 euros mensuels supplémentaires. La seule piste concernerait la création d’infirmiers de pratiques avancées en nombre limité pour une somme de 3,5 M€. Une goutte d’eau. Il faut le marteler : une augmentation salariale reste une condition sine qua non, notamment pour rendre plus attractifs des métiers qui peinent à recruter en raison de rémunération insuffisantes, tant la pénibilité, le stress, les difficultés de ces métiers sont importants. Les services subissent de ce fait un important turn-over. Au niveau de l’OCDE, la France est au 27ème rang pour le salaire des infirmières. En Allemagne ou en Espagne, elles sont bien mieux payées. Du coup, on trouve de moins en moins d’infirmières dans les zones frontalières et ailleurs.

* * *

Ni traitement des problèmes immédiats, ni véritable stratégie d’avenir le plan d’Agnès Buzyn n’est pas une refondation mais bel et bien la poursuite de la logique gestionnaire qui prévaut depuis trop longtemps. Évidemment une véritable refondation prendra du temps et en attendant il est dramatique de ne pas répondre aux besoins immédiats, alors que des patients décèdent sur des brancards et que des soignants se suicident…

Pour de nombreux professionnels, la ministre n’est plus dans le déni, mais dans le mépris.

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