Numérique

DÉFENDRE NOS LIBERTÉS CONTRE LES DÉRIVES AUTORITAIRES. INTERDIRE LA RECONNAISSANCE FACIALE.

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J’ai inscrit ce thème dans les 20 causes à promouvoir et à défendre pour 2020 que je vous avais adressées pour cette nouvelle année.
Comme il en a pris l’habitude lorsqu’il est en difficulté (ce qui est de plus en plus fréquent), Emmanuel Macron réagit depuis l’étranger pour parler de politique intérieure et lancer une nouvelle provocation. Ainsi en Israël, il a indiqué à un certain nombre de journalistes : « Aujourd’hui s’est installé dans notre société, et de manière séditieuse, par des discours politiques extraordinairement coupables, l’idée que nous ne serions plus dans une démocratie. Qu’il y a une forme de dictature qui s’est installée. Mais allez en dictature [sic] ! La dictature c’est un régime où une personne ou un clan décide des lois. Une dictature c’est un régime où l’on ne change pas les dirigeants, jamais. Si la France c’est ça, essayez la dictature et vous verrez !« 
Le président de la République n’a décidément aucune empathie pour son propre peuple et refuse ouvertement de comprendre le désarroi d’une part croissante de nos concitoyens s’exprimant sous la forme évidemment excessive du « nous ne sommes plus en démocratie », qui traduit confusément le malaise qui existe concrètement sur les dysfonctionnements de notre démocratie.
Il est tout de même patent – et nous l’avons vu à plusieurs reprises ces deux dernières années – que de nombreux ressors démocratiques de notre pays ne fonctionnent plus,
1- que les causes soient antérieures à l’élection d’Emmanuel Macron (l’idée même que l’extrême droite serait désormais abonnée au second tour de l’élection présidentielle en est un symptôme évident) et qu’il n’ait rien fait pour le réparer (bien au contraire) :
  • c’est le cas du renforcement du caractère présidentiel de notre régime institutionnel, avec une Assemblée nationale qui n’a plus aucune autonomie vis-à-vis de l’exécutif et n’entend plus l’expression populaire, avec un mode de scrutin qui amène de manière de plus en plus caricaturale une minorité à bénéficier d’une majorité parlementaire écrasante ;
  • c’est le cas de la dérive ordo-libérale de la construction européenne, qui empêche des gouvernements démocratiquement élus de mener (essentiellement dans les domaines économiques et sociaux, car il n’y a pas eu de réactions européennes aussi fortes face aux dérives autoritaires en Pologne, Slovaquie ou Hongrie) les actions pour lesquelles les citoyens les ont mandatés…
2- que la pratique du pouvoir d’Emmanuel Macron introduise de dangereuses ruptures :
  • les invocations à la démocratie sociale et au dialogue social de la part de l’exécutif sont peu de choses quand on mesure à quel point les syndicats, les représentants des salariés sont méprisés ; rappelons nous la « déception » exprimée par la CFDT elle-même lors des Ordonnances Pénicaud qui ont tant abîmé le droit du travail ; rappelons nous le piège tendu aux partenaires sociaux par le gouvernement sur l’assurance chômage pour justifier qu’il décide seul par décret d’évolutions qui fragilisent aujourd’hui les demandeurs d’emplois ;
  • si des prémisses existaient lors de la fin du quinquennat précédent, la façon d’appliquer les doctrines de maintien de l’ordre, la violence déchaînée contre des manifestants pacifiques dans leur immense majorité avec un taux de blessés rarement vu depuis plusieurs décennies, la loi dite « anti-casseur » de 2019, les propos inacceptables d’un préfet de police, la sévérité extrême des interpellations et des sanctions contre des manifestants et des journalistes, sous des prétextes parfois douteux, face à ce que qui a été perçue comme une forme de mansuétude vis-à-vis de représentants des forces de l’ordre suspectés de bavures… tout cela crée un climat délétère.
A l’occasion de la sortie de son dernier livre Les luttes des classes en France au XXIème siècle, Emmanuel Todd a exprimé quelques éléments à prendre en compte dans notre réflexion collective : « La démocratie, c’est voter librement, parler librement (…) [nous pouvons effectivement faire cela], mais la démocratie ce n’est pas juste ça. Ce sont des conditions nécessaires. Il faut aussi pouvoir voter pour des gens qui vont être d’accord pour œuvrer pour le bien des gens qui ont voté pour eux (…) Il faut que le gouvernement élu ait la possibilité de changer les choses. Pour qu’une démocratie existe il faut que le gouvernement puisse agir.
Il n’est donc pas étonnant que nos concitoyens, confrontés systématiquement au TINA, au discours sur l’absence d’alternative, proféré par un exécutif qui se confond sans cesse avec une forme de caste mêlant une partie de la technocratie aux intérêts financiers multinationaux, confrontés à ce discours d’impuissance sur le caractère indépassable des contraintes, en viennent à douter de la réalité de notre démocratie et finissent par considérer que la dérive autoritaire (et parfois violente) du pouvoir est inversement proportionnelle à sa capacité à agir pour le bien commun.
Mais ce n’est pas la seule menace pour les libertés dans notre pays et chez nos voisins. J’ai déjà eu l’occasion d’écrire voici quelques jours sur les risques que font peser les géants multinationaux du numérique sur les puissances publiques et les citoyens de plusieurs façons : sur la captation et l’utilisation des données que nous leur cédons parfois sans nous en rendre compte ; sur la dépendance aux outils numériques (dont ils sont propriétaires) qu’ils sont en train de créer tant pour les Etats que pour les individus ; sur la capacité qu’ils ont de concurrencer les puissances publiques en termes d’action, de contournement du droit (fiscal, social, etc.).
Là aussi le gouvernement actuel ne nous conduit pas dans la bonne direction. Alicem est le nom du projet d’identification par reconnaissance faciale de l’Etat français, attendu dans les mois à venir. Lancée par un décret en mai, l’application mobile Alicem (version courte d' »Authentification en ligne certifiée sur mobile »), utilisable uniquement sur Android, doit permettre de s’authentifier sur les sites accessibles via le portail d’accès du service public FranceConnect.gouv, comme ceux de la sécurité sociale et des impôts. Lors de son inscription, l’usager montrera son visage afin que le système vérifie qu’elle correspond à la photo de son titre d’identité. Avant même la publication du décret, en octobre, la CNIL avait elle aussi rendu un avis sceptique, s’alarmant déjà de l’absence d’alternative à l’identification par reconnaissance faciale sur le portail. Une telle mise en œuvre serait non-conforme au règlement européen de protection des données (RGPD), entré en application en mai 2018. On attend toujours les alternatives proposées par le gouvernement. Il y a également un risque à force de vouloir excessivement numériser nos services publics, c’est que l’accès à ceux-ci deviennent finalement plus complexes encore qu’ils ne le sont pour une partie de la population.
Il est donc très curieux, que la France se porte à la pointe d’une telle technologie, quand on mesure déjà les dérive qu’elle produit en Chine avec le « crédit social », quand on comprend qu’elle permettra à terme d’identifier n’importe qui sur internet (c’est déjà le cas sur Facebook) empêchant tout possibilité d’anonymat y compris les plus légitimes, tandis qu’en Californie, par exemple, plusieurs villes interdisent déjà son usage par les services publics au nom des libertés civiles…
Alors que la proposition de loi Avia sur les contenus haineux sur internet est en pleine navette parlementaire, nous avons pu noter les dérives auxquels le gouvernement et ses soutiens donnaient libre cours, en autorisant désormais une forme de censure arbitraire sans contrôle judiciaire (revendication de longue date du ministre Castaner).
Il y a ici selon moi de nombreuses raisons de rester collectivement prudents, c’est pourquoi je m’engagerai contre le développement de la reconnaissance faciale et il nous faudra travailler aux rétablissements de certaines garanties pour les libertés publiques.

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