Politique de la Ville

Quartiers, politique de la ville : les oubliés de la relance !

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Dans le quartier du Mail à Chenôve, en Côte-d’Or, en 2017. • © JC TARDIVON/MAXPPP

Au sein de la commission des affaires économiques du Sénat, nous avons reçu les maires signataires de l’appel des maires, et des représentants de Villes et Banlieues.

Une première observation m’a frappé : le gouvernement non seulement se place dans la défensive, déroule tout ce qu’il fait en feignant de croire que cela marche – tel n’est pas le cas – et ne veut ni entendre ce que les élus font remonter (en particulier que l’argent et les dispositifs ne retombent pas sur le terrain), ni écouter et donner des réponses à leurs revendications qui sont pourtant loin d’être hors de portée.

Le Président de la République ne cesse d’expliquer qu’il veut combattre le communautarisme et le séparatisme, prévoit une nouvelle loi mais ne dégage pas les moyens minimaux pour améliorer une situation alarmante dans les quartiers où l’augmentation de la pauvreté est galopante, où les moyens pour la réussite scolaire, pour la formation et l’emploi en particulier des jeunes, pour la vie associative sont à des années lumières de ce que demandent les élus et les habitants.

Derrière les effets d’annonce à coup de millions, voire de milliards, ces sommes en réalité ne se retrouvent pas sur le terrain. Tout cela pour faire croire à celles et ceux qui n’y vivent pas qu’il y aurait plein d’argent et que cela ne servirait à rien, ou si peu. Telle n’est pas la réalité !

Prenons un exemple, l’opération « réussite éducative » qui permet du soutien scolaire ou de l’aide aux devoirs… Même avec les crédits actuellement prévus dans le « plan de relance », on n’atteindrait que 85 000 jeunes, quand il en faudrait au minimum tout de suite 200 000 car nous ne devons pas oublier qu’une très grande partie de notre jeunesse vit dans ces quartiers. Idem aucune suite à ce jour à l’opération « un jeune, une solution » promis par le président de la République a grand renfort de publicité …

Après avoir supprimé les emplois aidés, le gouvernement a dû revenir en arrière et en a annoncé d’un nouveau type. Mais actuellement il n’y en a que 12 000 !!! il propose de passer à 24 000 alors que tous estiment qu’a minima il en faut 100 000. Pendant ce temps les sommes consacrées aux « emplois francs » ne sont pas dépensées ; or les élus locaux ont toujours indiqué que ces mesures d’allègement de cotisations ne marcheraient pas et que l’argent serait mieux utilisé autrement. Mais l’idéologie libérale a la peau dure.

Un plan de relance pour quoi faire ?

Alors on aurait pu penser que le plan de relance engagerait des sommes conséquentes pour la reconquête républicaine dans les quartiers, et mettrait en place une méthode garantissant que l’argent programmé va vraiment dans ces quartiers, répond aux priorités de ceux-ci, ou encore associe effectivement les élus et les habitants.

Eh bien Non ! et c’est ce que dit l’appel des maires publié le 14 novembre dernier !

Parlons d’abord de la méthode.

Le bluff, la précarité des financements (en plus de leur insuffisance), la mise en concurrence des acteurs et territoires (tous défavorisés !), la technocratisation, le mépris des élus et des habitants et au final une sous-consommation des crédits.

La grande mode fut et demeure le principe des appels à projets … là où il devrait y avoir des subventions automatiques et garanties lorsqu’un projet est sérieux et rentre dans les critères généraux définis. Eh bien non : on annonce de nouvelles politiques – par exemple le soutien aux cités éducatives – puis on limite le budget à quelques opérations, on lance un appel a projet et seules quelques villes sont retenues. Les autres n’y ont pas droit, non que leur projet soit mauvais, mais les crédits sont insuffisants. Découragements, démobilisation là où il faudrait au contraire entretenir la flamme des intervenants locaux. De surcroît, il a fallu dépenser beaucoup d’argent en paperasse et autres démarches pour déposer un dossier d’appel à projet et dans bien des cas pour rien. Quel gaspillage !

Alors ensuite vient l’argument « il faut évaluer pour élargir », cela permet en fait de retarder le déboursement de nouveau crédits. Et sur le terrain, on attend … et rien ne se passe. Évidemment personne ne saurait s’extraire de l’évaluation des politiques publiques mais nous observons clairement une injustice, un « deux poids deux mesures ». D’un côté, les quelques millions d’euros pour ces actions qu’il faut très vite évaluer (or l’évaluation sur un petit nombre d’expériences est moins fiable que sur un grand échantillon) ; de l’autre, les milliards du CICE et autres allégements de cotisations – dont on ne veut pas évaluer l’efficacité et lorsque d’aucun s’y prête, on voit qu’elle est négative. Mais dans ce dernier cas on poursuit sur la mauvaise pente, tandis qu’on freine là où pourtant l’urgence sociale et républicaine est patente ! Insupportable !

Il faut bannir de nos méthodes cette généralisation des appels à projets ! et encore plus quand on voit comment le gouvernement annonce en septembre un appel à projet pour une enveloppe de 20 millions d’euros pour les associations tout en fixant au 15 octobre la date limite du dépôt des dossiers. Évidemment seules les grosses associations, et quelques autres « bien informées », ont pu rendre à temps leur copie et toucher des subsides. Les petites associations de quartiers ont été, de fait, évincées.

Ensuite il y a un refus du pragmatisme et de la confiance aux acteurs de terrain !

Les élus de villes et banlieues ont proposé une initiative intéressante : la création d’un Conseil National des Solutions pour faire remonter les initiatives de terrain qui pourraient ainsi être largement développées, voire généralisées, et pour arbitrer sur leur faisabilité et le niveau de subventions nécessaires afin de les inscrire dans les enveloppes de la politique de la ville. Ce Conseil national des Solutions non seulement serait plus efficace que les démarches bureaucratiques qui prévalent aujourd’hui, mais aurait aussi l’intérêt de mettre en valeur des pratiques associatives ou publiques issues de ces quartiers et qui pourraient se développer ailleurs en terme d’emplois, de solidarité et de citoyenneté. Car nos quartiers ont du talent. Il semble que le premier ministre ne retienne pas cette proposition qui n’est pourtant pas ruineuse.

Cela témoigne d’une défiance chronique du gouvernement et du président de la République envers les élus, les corps intermédiaires et les catégories populaires.

Pourtant la meilleure façon d’être certains que les budgets prévus sont bien consommés pour les quartiers et la politique de la ville est de voter un fond spécifique pour des subventions directement opérationnelles pour les actions locales et qui pourrait être cogéré au niveau départemental entre le préfet, les élus concernés et des représentants d’associations ou des habitants. Veillons donc à ce qu’1% du plan de relance soit effectivement consacré à la politique de la ville et que soit créé un tel fonds géré au plus près des quartiers.

Des amendements pour répondre aux demandes légitimes des maires

Nous avons donc déposé avec la commission des affaires économiques du Sénat des amendements lors de l’examen du budget 2021 pour prendre en compte l’appel des maires. Ils seront examinés demain lors de la présentation du rapport pour avis sur la politique de la Ville. Les demandes l’appel des Maires sont très raisonnables (certains diront trop), car leur souci est d’être certains qu’elles seront quasiment immédiatement prises en compte :

  • Augmenter les dotations des communes en politiques de la ville, la compensation effective des exonérations fiscales, une dotation de surcharge scolaire et la compensation intégrale des dépenses COVID.
  • Généraliser les cités éducatives et passer le programme de réussite éducative à 200 000 enfants. Poursuivre les « Colos et vacances apprenantes ».
  • Lancer 100 cités de l’emploi. Assurer l’obligation de formation pour les jeunes de 16 à 18 ans, passer à 150 000 emplois dans le parcours emplois-compétences. Partout rendre obligatoires les clauses d’insertion dans tous les marchés publics.
  • Soutenir l’Économie Sociale & Solidaire (ESS) grâce au renoncement par l’État sur le remboursement du PGE aux petites associations, structures de l’insertion par l’activité économique, et passer la TVA 5,5% pour les biens de deuxième main vendus et entretenus par les entreprises de l’ESS.
  • Une solidarité d’urgence avec la reproduction des chèques alimentaires pour Noël et des fonds d’urgence pour les associations jeunesse et précarité.
  • 7 000 postes de Médiateurs pour tranquillité publique et le financement par l’État des maisons de la justice et du droit pour favoriser l’accès de tous a leurs droits.

Reçus par le premier ministre, ces maires n’ont cependant obtenu aucune garantie.

Au-delà de ces mesures immédiates, le débat sur la politique de la ville met plus que jamais en lumière la nécessité de retrouver un État engagé pour garantir l’égalité des droits et des territoires, assurer une vraie redistribution des richesses, investir dans un haut niveau des services publics ; retrouver un État facilitateur des initiatives locales, de la vie associative, du développement de l’éducation populaire. Un État républicain !

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