Moduler les allocations familiales, une erreur

Partager sur facebook
Partager sur twitter
Partager sur linkedin

allocations-familialesJe n’ai jamais été d’accord pour l’octroi des allocations familiales sous conditions de ressources ou que leur versement soit progressif en fonction des revenus.

Parce qu’il s’agit d’une question de principe et que, peu à peu, on laisse dériver notre modèle républicain vers une société à l’anglo-saxonne. En effet, à l’égalité des droits et la juste contribution de chacun, on oppose une logique d’aides sociales avec une imposition non progressive.

Parce que cette mesure n’est pas réellement juste. On traite de façon étroite et sur un champ limité ce qui devrait être une réforme fiscale d’ensemble pour restaurer la progressivité de l’impôt et plus d’égalité dans notre pays. On compare ce que touchent les familles entre elles et non le niveau de vie de ceux qui ont des enfants au regard de celui de ceux qui n’en ont pas. On ne regarde pas non plus le cadre général des inégalités de revenus.

Parce que la baisse des prestations familiales, de la protection sociale n’est pas la bonne stratégie pour réduire les déficits publics, car, de fait, il s’agit de prélever sur le pouvoir d’achat des familles et des ménages et que cela va pénaliser la croissance et donc les recettes du budget et que l’on verra comme cette année le déficit continuer à augmenter.

Il y a une autre stratégie possible ; or ni le gouvernement, ni la direction du groupe socialiste à l’Assemblée Nationale ne veulent ouvrir sérieusement le débat.

Alors, allons au fond et ne restons pas à l’écume des choses.

On voit peu à peu, et ce depuis la montée en puissance de la vague libérale, s’organiser une remise en cause de notre modèle social et républicain et singulièrement de notre système de protection sociale.

En effet, notre protection sociale est largement fondée sur la mutualisation des risques, l’égalité des droits où chacun contribue à proportion de ses facultés respectives. C’est un des piliers de notre cohésion sociale.

Les libéraux ont toujours voulu réduire cette solidarité globale, cette socialisation de la protection sociale en promouvant d’abord l’idée d’un socle commun minimal et d’aides sociales pour les plus faibles, avec – au cours du temps – une montée de l’idée de l’illégitimité des prélèvements et la critique de l’« assistanat ». Le niveau global des allocations baisse et lorsque c’est nécessaire les gens se ruent vers des assurances individuelles. C’est aussi le discours sur les classes moyennes qui paient tout et ne reçoivent rien, auquel certains ministres socialistes succombent régulièrement. Comment ne voient-ils pas qu’ils entretiennent par leurs décisions ces dérives ?

S’installe progressivement une logique dangereuse : réduction de la protection collective, de l’égalité des prestations, montée de l’assurance individuelle, « flat tax » en lieu et place de la solidarité collective, de l’égalité des droits, de la mutualisation et d’un impôt juste donc progressif.

Car l’accumulation de décisions récentes, convergent dans le sens d’un basculement progressif de la logique républicaine vers une vision plus caritative de la protection sociale :

  • annonce sur la réduction des allocations chômages,
  • modulation des allocations familiales,
  • réduction de la part de l’impôt sur le revenu (seul impôt progressif) dans l’ensemble de la fiscalité et prélèvements.

Tout cela finit par avoir un sens mais pas celui de la consolidation du pacte républicain.

Oui il s’agit d’une question de principe et les principes sont importants car ils déclinent les valeurs qui fondent notre contrat social et de fait notre projet de société.

Ce débat avait déjà eu lieu sous Lionel Jospin et, finalement, il avait arbitré dans le sens qu’avec d’autres socialistes je défends encore aujourd’hui. Récemment le 9 octobre, François Hollande indiquait que ce principe n’avait pas été retenu. On observera que la parole présidentielle, déjà très discréditée, est une fois de plus sujette à caution.

On pourrait se réjouir de voir enfin le parlement imposer son point de vue. Sauf que présenté comme le point de vue du groupe parlementaire socialiste, on observera que cette disposition n’a jamais été proposée par le PS. Certes, certains députés l’ont défendu, mais on peut observer que les suggestions parlementaires retenues sont toujours celles qui vont dans le sens libéral. Et si, enfin, on mettait déjà en œuvre ce que nous avons promis – en particulier pour la justice sociale – comme la réforme fiscale, plutôt que ces mesures sectorielles mal préparées ? Et si, enfin, le gouvernement répondait à la demande des parlementaires d’un nouveau contrat de majorité qui fixerait un cadre cohérent et juste en vue d’une sortie de crise ?

Cette mesure n’est pas « réellement juste ». En traitant la question de la justice sociale de façon segmentée, en comparant les situations sur un seul sujet, on peut se tromper de cible et éluder l’exigence globale de justice et de lutte contre les inégalités.

Monsieur Henri Sterdyniak, économiste de l’OFCE, membre du collectif des économistes atterrés est bien connu pour ses combats pour la justice sociale et la redistribution des richesses, a rédigé en février 2013 un texte très éclairant et convaincant que je vous invite à lire. Il est intitulé « Faut-il réduire les prestations familiales ? Faut-il les imposer ? »

Je retiens deux passages en particulier :

« Par ailleurs, les gouvernements successifs ont progressivement mis à la charge de la CNAF, et l’assurance vieillesse des personnes au foyer (pour 4,4 milliards en 2012) et les majorations familiales de retraite (pour 4,5 milliards en 2012). Ainsi, sur les 54 milliards de ressources de la CNAF, près de 9 milliards sont détournés vers l’assurance-retraite et ne profitent pas directement aux enfants.

Ce détournement a été possible car les prestations familiales ont peu augmenté dans le passé, n’étant généralement indexées que sur les prix et ne suivant pas sur les salaires. Pire, certaines années, les prestations n’ont même pas été augmentées comme l’inflation. Finalement, de 1984 à 2012, la BMAF a perdu 5,7% en pouvoir d’achat absolu, mais 25% en pouvoir d’achat relativement au revenu médian des ménages. »

Mais aussi :

« Une famille avec trois enfants a un niveau de vie plus bas qu’un couple sans enfant, de mêmes salaires, de 20 % si elle gagne 2 fois le SMIC, de 30 % si elle gagne 5 fois le SMIC. Les allocations familiales sont devenues très faibles pour les classes moyennes ; le quotient familial ne fait que tenir compte de la baisse de niveau de vie induite par la présence d’enfants ; il n’augmente pas le pouvoir d’achat relatif des familles. A aucun niveau de revenu, les aides aux enfants ne sont excessives.

Le niveau de vie moyen des enfants était en 2010 inférieur de 10% à celui de la moyenne de la population. Ce devrait être l’inverse, puisque les enfants ont besoin d’un niveau de vie satisfaisant pour développer toutes leurs potentialités, et puisque les parents qui élèvent leurs enfants, en plus de leurs activités professionnelles, jouent un rôle social fondamental. »

C’est bien une réforme fiscale globale qui s’impose, avec un grand impôt progressif comme colonne vertébrale. De surcroît, on notera que l’effort fiscal est concentré sur les ménages alors que les allègements sont massifs sur les entreprises.

Nous avons fait une proposition qui assurerait une réelle justice fiscale au regard de l’ensemble des revenus et de la situation sociale de chacun.

Dans le même temps, il est indispensable de repenser la base des prélèvements sociaux (moins sur la masse salariale, davantage sur la valeur ajoutée créée dans l’entreprise), mais aussi des charges indues affectées par l’État au différentes branches de la sécurité sociale.

On nous dit que cette mesure est moins injuste que la baisse de la prime de naissance, sans doute. Mais, on ne va pas sortir des graves problèmes actuels en proposant en permanence du « moins pire ».

Comment mobiliser notre pays avec ce genre de discours, avec des aller et retour dans les annonces, avec des engagements non tenus et en persistant dans l’erreur quand les résultats ne sont pas là !

Réduire de 700 Millions d’euros les allocations familiales est une erreur. Il existe un autre chemin pour redresser l’économie du pays et les comptes publics.

Le sujet est revenu dans l’actualité parce que le gouvernement, pour financer les 41 Milliards d’euros d’allègement des cotisations sociales (là aussi, comment financera-t-on la protection sociale à terme ?) accordé sans contreparties et sans ciblage aux entreprises, a décidé de réduire la dépense publique de 50 Milliards en tapant sur les dotations aux collectivités locales mais d’abord et surtout sur la protection sociale.

Au passage, on pourra observer, qu’il y a peu, le gouvernement justifiait que sa politique n’était pas d’austérité parce qu’il ne baissait pas les prestations… cette fois-ci, il n’a plus d’argument. On met en place en France les mêmes programmes que ceux qui ont mis à genoux la Grèce et les pays d’Europe du Sud. Certes, notre pays est plus riche et donc les effets immédiats sont moins visibles, mais la pente est prise, un affaiblissement sérieux de la France est à redouter. Car bien que l’on nous ait expliqué que ces pays, qui avaient fait les efforts demandés, se redressaient, il n’en est rien la déflation s’est installée en Europe et les peuples souffrent.

Réduire de 700 Millions les allocations familiales contribue à la baisse du pouvoir d’achat des familles et de la consommation, ce qui freinera la croissance et limitera les recettes attendues au budget. Les déficits vont continuer à se creuser. Pendant ce temps, bon nombre d’entreprise qui n’en ont pas besoin, qui n’investiront pas ni n’embaucheront, vont toucher le CICE et les allègements du pacte de responsabilité. C’est près de 20 Milliards d’euros qui sont ainsi gaspillés. Il eut mieux valu cibler et conditionner ces aides.

Nous proposons une autre politique, d’autres choix qui consolident notre modèle républicain et trace un chemin de sortie de crise.

LES DERNIERS ARTICLES