Jaurès aurait-il voté Sarkozy ?

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Tribune de Marie-Noëlle Lienemann et Paul Quilès publiée dans le Le Figaro du 1er Août 2007

Jaurès fut indiscutablement l’un des héros de la campagne de 2007. Pas tant en raison des maigres références des socialistes et de leur candidate au grand tribun, mais parce que Nicolas Sarkozy l’appela abondamment en renfort. Ce n’est pas la première fois qu’un candidat de droite s’essayait à cette récupération.         

François Mitterrand y avait en son temps répondu : «  la droite
adore les socialistes….quand ils sont étrangers ou morts ! » Mais si,
le temps passant, l’œuvre de Blum et de Jaurès est plus largement
saluée, c’est que la plupart des grandes avancées sociales, voir
sociétales sont nées en France de l’action de la gauche et des
socialistes. Refuser que nos figures historiques  participent du
patrimoine commun du pays serait la preuve d’un sectarisme déplacé,
mais accepter leur banalisation, l’affaiblissement ou le rangement au
musée de leurs idées serait tout aussi inacceptable.

Jaurès, à partir du projet républicain, n’a cessé d’appeler à son
dépassement, pour qu’il embrasse tous les champs de la vie, et bien sûr
celui du social et de l’économie. La citoyenneté ne pouvait pas rester
exclue des entreprises, l’égalité exigeait des politiques publiques
volontaristes et un engagement contre toutes les injustices sociales,
la fraternité condamnait l’exploitation de l’homme par l’homme. Cette
synthèse originale et exigeante entre  la vision républicaine et le
mouvement ouvrier est la matrice originale du socialisme français.
Jaurès était un visionnaire et défendait des valeurs fondamentales et
universalistes qui traversent le temps.  Elles demeurent d’une profonde
modernité et, par certains aspects, d’une totale actualité.

Dès 1888, Jaurès, qui n’est pas encore socialiste, condamne la
réaction qui  veut « accroître les impôts de consommation qui pèsent
partout, à la campagne comme à la ville, sur les pauvres gens ». Et il
propose: « nous voulons remplacer l’impôt foncier par un accroissement
des droits qui frappent les successions au-dessus d’un certain chiffre
», car « nous pouvons demander quelques sacrifices aux capitaux
mobiliers ou immobiliers que les générations se transmettent souvent
sans les féconder sans les légitimer par leur travail propre ». On
imagine mal Jaurès votant la réforme fiscale de N. Sarkozy !

La récidive ? La délinquance ? Des sujets évoqués aussi par les
politiques de l’époque, qui dénoncent déjà la fascination pour l’argent
facile, la perte des repères, le rôle des médias dans l’exaltation de «
bandits tragiques » en même temps que la surexcitation des peurs. Non
seulement Jaurès, mais l’ensemble de la gauche se battent pour une
justice plus humaine, qui ne soit pas seulement répressive, mais aussi
éducative. A cette époque aussi, il fallait convaincre et ce n’était
pas facile, mais Jaurès estimait qu’il fallait parfois savoir «
dépenser sa popularité » en allant à contre-courant de l’opinion, de la
mode, « ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe »

Pas étonnant que, sur tous ces sujets, N. Sarkozy ne cite plus
Jaurès ! Et il est bien dommage que la gauche, oublieuse d’elle-même,
n’ait pas l’audace de le faire.

Durant la campagne, la candidate socialiste, au-delà de quelques
références convenues à Jaurès et Blum, a préféré vanter fréquemment
Prodi et Blair, démobilisant un peu plus l’électorat de gauche. L’appel
à la rénovation sonnait et sonne encore souvent comme un hymne  au
renoncement et à l’abandon des valeurs du socialisme français, à ses
racines, à son esprit rebelle, qui ne s’accommode guère  de l’ordre
dominant. Nous pensons, au contraire que l’avenir est à une gauche
décomplexée qui propose des réponses renouvelées tout en ne craignant
pas d’assumer son identité. Une gauche qui, selon la méthode
jaurésienne, n’oublie jamais la réalité.

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