"Royal a eu faux sur toute la ligne"

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Marie-Noëlle Lienemann répond à l’interview du Journal du dimanche.

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Vous parlez de la campagne de Ségolène Royal comme d’une "déflagration".

Que ce soit sur la stratégie, la méthode d’action et les thèmes choisis, elle a eu faux sur toute la ligne. Elle a été imposée par les sondages et les médias. C’était un leurre. Elle a d’ailleurs joué et joue encore totalement perso. Et n’a tiré aucune leçon de la campagne. Ce qu’elle appelle son autocritique se borne à dénoncer ceux du parti qui ne l’auraient pas soutenu et l’impréparation dont elle aurait été victime. Comme toujours, elle s’épargne et ne peut pas se remettre en cause. Ce qui la rendra incapable de rebondir. Je ne lui reconnais qu’un mérite. Sa détermination au service de sa seule personne. Car elle n’a aucun sens du collectif.

Une seconde candidature Royal vous semble impensable ?

Ce qui s’est passé est irréversible. Et lorsque je dis "Au revoir Royal", c’est qu’il faut tourner la page. Sous prétexte de rénovation et de modernisme, elle a opté pour une ligne de complicité idéologique avec la droite.

Avant elle, Jean-Jacques Servan-Schreiber et Gaston Defferre s’y
étaient essayés. En pure perte. C’est un fourvoiement, une impasse qui
prive la gauche de ses repères fondamentaux et de la victoire
électorale. Elle a fait le lit de l’ouverture. Dois-je rappeler que
Bernard Kouchner et Jean-Marie Bockel ont été ses premiers soutiens. Où
sont-ils aujourd’hui ?

Elle a tout de même fait un score de 47 % ! En 2002, Lionel Jospin n’avait même pas dépassé le premier tour.

47 %, c’est un seuil minimal contre la droite et pourtant Ségolène
Royal a bénéficié, à plein, du réflexe du vote utile. N’importe quel
socialiste aurait fait ce score. Le total des voix de gauche sous
Jospin a été supérieur au total des voix de gauche sous Ségolène Royal
qui a fait fuir des électeurs socialistes vers Bayrou. Face à Ségolène
Royal qui n’a même pas été capable de reprendre à son compte le thème
de la rupture, Sarkozy a fait un des meilleurs scores jamais obtenus
par la droite.

"Elle s’illusionne lourdement sur les soutiens dont elle croit bénéficier"

On n’a guère entendu d’autres voix que la sienne pendant la campagne. Où étiez-vous passés ?

Nous avons tout tenté pendant la phase préparatoire pour empêcher ce
qui se préparait. Après c’était trop tard, nous ne pouvions pas prendre
le risque de faire perdre plus encore notre camp. Ce décalage entre le
PS et le peuple de gauche vient de plus loin. Déjà, on l’avait vu lors
du "non" au référendum européen. Fidèle à sa tactique d’étouffoir,
François Hollande stérilisait tout débat et faisait un chantage
constant sur l’unité que nous devions afficher. Nous avons vécu des
mois de tension interne maximum, beaucoup d’entre nous pressentaient
que nous courrions à la catastrophe.

N’enterrez-vous pas un peu vite Ségolène Royal ? Elle n’a pas l’intention de laisser sa place.

Sa place, mais quelle place ? Si je ne m’attends pas à ce qu’elle
tombe comme un fruit mûr, car elle va s’accrocher dur, je crois qu’elle
s’illusionne lourdement sur les soutiens dont elle croit bénéficier à
l’intérieur du parti. Que ce soit auprès des élus ou des militants. Les
Gaëtan Gorce, Manuel Valls, Vincent Peillon, Arnaud Montebourg prennent
déjà, plus ou moins, leurs distances. Ce ne sont plus que des soutiens
flottants, prêts à jouer leur carte personnelle dès que l’occasion s’en
présentera. Ils sont encore vaguement solidaires mais ils entendent la
colère des militants, le dépit de ceux qui ont l’impression d’avoir été
menés en bateau, floués, anesthésiés, utilisés au service d’une seule
personne et non d’une cause. Les socialistes aujourd’hui sont dans
l’expectative, d’autant que la période Hollande s’achève mi-2008. Mais
la relève n’apparaît pas encore.

Comment reprendre la main ?

En retrouvant nos valeurs fondamentales. En travaillant dans une
dynamique unitaire : le PS, le PC, les Verts, le MDC, les militants
syndicalistes, les associations de gauche. Il y a là un vivier immense,
fertile, prêt à travailler, autour d’un vrai programme. Il faut parler
au peuple de gauche qui est parti vers Bayrou et même vers Sarkozy par
désarroi, par manque de corpus idéologique. Dans les années 1970, le
total des militants de gauche représentait près de 500 000 personnes.
Contre à peine 300 000 aujourd’hui. L’avenir de la gauche passe par un
travail de fond que sont prêts à faire Laurent Fabius, Alain Vidalies,
Jean-Luc Mélenchon, Henri Emmanuelli, Benoît Hamon. Et d’autres… Le
club de réflexion Gauche Avenir se réunit mi-septembre à Paris pour
reprendre l’initiative. Il faut rouvrir des débats essentiels: le refus
de libre-échangisme, le retour à une économie mixte, la relance de
l’industrie dans notre pays, un changement de cap en Europe, de
nouveaux droits comme celui au logement, un nouveau pacte
républicain… Le champ est large. Nous devons redevenir le parti du
monde du travail.

Au revoir Royal, de Marie-Noëlle Lienemann et Philippe Cohen. Editions Perrin 185 pages, 13,50 euros.

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