Six ruptures pour sortir de la crise

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Avec Paul Quilès, nous venons d’écrire ce texte, qui s’efforce de tirer de la grave crise actuelle six leçons, qui suggèrent autant de ruptures avec l’ordre établi. Ces ruptures nous paraissent nécessaires pour éviter les sombres conséquences économiques, sociales et politiques que pourraient entraîner tous les  désordres auxquels nous assistons.

Ce texte a donné lieu à des articles dans les quotidiens "l’Humanité" et "les Echos" de ce jour.
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     On croit rêver ! Où sont passés les libéraux, les défenseurs de la mondialisation heureuse ? Où sont les donneurs de leçons sur « la nécessité de s’adapter coûte que coûte à un capitalisme qui a fait la preuve de sa supériorité sur toute la planète » ?

      Ils sont tous au chevet de la « régulation », mot dont on ne sait
plus bien ce qu’il signifie, tant ils les utilisent de façon
contradictoire et sans en définir le sens et l’objectif. Tous ces
Diafoirus jurent qu’ils sont bien déterminés à « moraliser le
capitalisme » et à éviter qu’une telle crise puisse se reproduire.
Chacun y va de son idée. Ici, une grande réunion sensée rétablir
l’ordre et colmater la brèche d’un système qui prend l’eau de toutes
parts, là des fonds publics pour se substituer au crédit défaillant…

    Certes, des mesures immédiates s’imposent. Il  ne faudrait pas pour
autant que l’urgence de la tâche vienne empêcher l’indispensable
réflexion sur les raisons profondes de la crise
. Il ne faudrait pas non
plus que la mise en cause de certains responsables (les mauvais
banquiers, les amateurs de parachutes dorés, les vilains traders et
autres spéculateurs, les produits « toxiques »….), livrés à la
vindicte publique et que certains font mine de découvrir, serve de
dérivatif à l’analyse lucide des vraies causes de la catastrophe.

   

Cette crise est globale, parce qu’elle est la résultante de quatre
crises : financière, économique, sociale, écologique. C’est le système
capitaliste financier transnational et la mondialisation libérale qui
sont en cause.

    C’est la crise d’un régime d’accumulation financiarisée, où la
gouvernance d’entreprise est fondée sur la primauté des actionnaires.
Ce régime s’est affirmé dans le prolongement de la libéralisation des
capitaux et dans un contexte de frénésie libre-échangiste, entraînant
la déflation salariale, la remise en cause de la souveraineté des Etats
et la subordination de l’ensemble des politiques publiques à cette
nouvelle orientation du capitalisme actionnarial. Nombreux à gauche
sont ceux qui avaient décrit les graves conséquences de cette logique

et les menaces qu’elle faisait peser sur l’avenir du monde.
Malheureusement, une large part de la social démocratie européenne,
même en France, avait peu ou prou intériorisé et accepté cette
tendance, recherchant, qui une régulation prudente et molle, qui une
troisième voie……ce qui lui a fait perdre le soutien d’une partie  de
son assise sociale.

    

Demain ne saurait être comme avant : c’est une évidence. Comment
pourrait-on accepter encore qu’une grave déstabilisation de l’économie
et de la finance aux Etats-Unis se traduise par une catastrophe pour
les autres pays du monde et singulièrement pour l’Europe ? Mais quel
demain ferons nous ? Sommes-nous décidés à reprendre notre avenir en
main ?


     Avant toute chose, il faut commencer par tirer des leçons de la crise
.

    

La première leçon, c’est qu’on ne saurait demeurer soumis à des
lois présentées jusqu’ici comme inéluctables et quasi divines (le
marché, la libre concurrence…). Il faut  retrouver le primat du
politique, de la souveraineté populaire, le sens de l’intervention
publique et du rôle économique de l’Etat.

     La  liberté des mouvements de capitaux et l’absence de contrôle
ont non seulement permis la constitution de cette bulle gigantesque et
ce décalage total entre l’économie réelle et la finance, mais ils ont
entraîné aussi un rapport de force mondial défavorable au monde du
travail, un accroissement des inégalités sociales. Ceci est
inacceptable socialement et dangereux économiquement.

      

L’affaire des « subprimes » fut en partie liée à l’accroissement
de la précarité et à la stagnation des salaires (le salaire moyen
américain a aujourd’hui le même pouvoir d’achat qu’en 1920), qui ont
créé une chute de la solvabilité des ménages, en particulier au regard
de la flambée de l’immobilier. Une solvabilisation artificielle a été
entretenue par l’allongement des prêts ou par un surendettement privé
considérable. Cela avait forcément une limite. Le retournement s’est
opéré, les conséquences ont été catastrophiques pour des millions de
foyers, avec des « effets boule de neige » dans tout le système
bancaire et économique.

      

La seconde leçon de cette crise est que la répartition des
richesses ne peut être simplement une conséquence –d’ailleurs très
aléatoire- du développement économique ; elle est le moteur même d’une
économie stable et prospère.

       Il est urgent de mieux rémunérer le travail que le capital. Cela
ne sera possible que si l’on réinvente des échanges justes et négociés,
que si les Etats ou les blocs continentaux  mettent en place des
protections ciblées leur permettant d’agir et de prélever ; car la
première  condition d’une  réelle redistribution des richesses est la
revalorisation du salaire, qui doit aller de pair avec une fiscalité
renforcée, pour combattre les inégalités de revenus. 

      En se focalisant sur les «  solutions »  financières, on
laisserait une fois de plus dans l’ombre  les véritables victimes d’une
crise qui n’est pas seulement économique, mais aussi sociale et même
démocratique.
Elle touche les chômeurs, de plus en plus nombreux. Elle
touche tous les travailleurs pauvres et désormais aussi les couches
moyennes, qui voient leur pouvoir d’achat en berne et ne peuvent plus
faire face à leurs dépenses vitales comme le logement et la santé. Elle
touche les retraités, à qui il sera de plus en plus difficile de faire
croire que l’avenir des retraites sera assuré avec des fonds de pension.

      

La troisième leçon est que la crise valide pleinement le choix de
la solidarité collective plutôt que l’assurance individuelle, pour ce
qui concerne les besoins fondamentaux tels que la santé  et  les
services publics.

     Plus largement, il est temps de refonder les bases d’une économie
mixte, fondée prioritairement sur la réponse aux besoins humains, en
tenant compte rigoureusement de la protection de la planète. Car la
crise écologique est toujours là et elle imposera un nouveau mode de
développement, qui poussera à une certaine relocalisation des
productions et condamnera le libre échange généralisé.

      

La quatrième leçon de la crise est qu’il faut privilégier la
relance des activités productives, plutôt que de colmater les déficits
financiers.

     Plusieurs décisions immédiates s’imposent, comme l’interdiction
des LBO qui tuent l’emploi et saignent les entreprises pour d’énormes
profits à court terme. Aucune aide publique ne devrait être versée, si
elle n’a pas directement une efficacité pour le pouvoir d’achat et pour
le soutien aux investissements productifs.
Un réel contrôle
parlementaire, où l’opposition serait représentée, permettrait de
vérifier l’usage des fonds publics mobilisés au secours des
établissements financiers. C’est aussi cette démarche qui devrait
guider la Banque centrale et les institutions européennes dans la
gestion de la monnaie et dans un plan de relance de la croissance, qui
tarde à venir. Au lieu de cela, la Commission Européenne se réfugie
dans le dogmatisme et  analyse fébrilement les plans de sauvetage pour
savoir s’ils sont conformes au droit communautaire et s’ils ne faussent
pas la concurrence !

      

Le propre du capitalisme financier transnational a été
d’organiser un décrochage complet entre les flux des transactions
financières et la réalité productive.
La multiplication des mouvements
de capitaux purement spéculatifs n’est, hélas, pas nouvelle. C’est
d’ailleurs pour limiter cette effarante spirale que James Tobin avait
préconisé de les taxer, afin de mieux connaitre et contrôler ces
placements. L’argument qu’on opposait à la proposition de cet
économiste, pourtant peu suspect de convictions antilibérales, était
toujours le même : on ne peut rien faire seul……en  France, il faut
l’Europe….en Europe, il faut le monde. Il est illusoire à moyen terme
d’obtenir un accord général, parce que les diverses formes de la «
gouvernance mondiale » sont incapables d’imposer la moindre norme ou
règle, hors celle de la libre concurrence ! Devant les problèmes, seuls
les Etats nations ont directement réagi et que, devant le péril, eux
seuls ont eu la légitimité et la capacité à agir. Eux seuls ont la
confiance des citoyens : il suffit de voir les afflux de dépôts en
Grande -Bretagne sur les  banques récemment nationalisées. Désormais,
les dirigeants ne pourront plus nous resservir l’argument : « on ne
peut pas faire seuls » !

    

La cinquième leçon est qu’il faut réinventer des outils nationaux d’intervention.

    Les fonds souverains étaient de ce point de vue très symptomatiques
de ce mouvement, même s’il n’est guère opportun qu’ils soient crées
pour intervenir dans l’économie des autres pays. On doit relancer le
capital public, voire dans certains cas nationaliser, et pas seulement
les banques en difficulté.
Mais il est d’autres outils qu’il faut aussi
actionner, comme la politique des prix ou le contrôle des marchés.

    

La sixième leçon de cette crise est qu’il faut repenser et
refonder la construction européenne sur d’autres bases, sans se
contenter d’une fuite en avant dans l’attente plus qu’hypothétique
d’une intervention mondiale efficace ou même européenne.

     Lorsqu’en votant « non », nous disions en 2005 qu’il valait mieux
un électro-choc politique et démocratique à froid qu’une crise à chaud,
les tenants de l’Europe libérale criaient au loup. En réalité, ils
s’aveuglaient, car il était clair depuis quelques années que l’Europe,
si elle ne changeait pas de stratégie, allait droit dans le mur.  Nous
y sommes et tous ces grands donneurs de leçons qui prétendaient nous
doter d’une constitution commune, n’hésitent pas, au premier coup de
vent, à faire cavaliers seuls. La chancelière allemande est loin d’être
la dernière à ce petit jeu!

    

Réorienter, voire refonder la construction européenne implique de
privilégier une approche politique et sociale qui définisse des
protections communes, la préférence communautaire, les solidarités, les
convergences sociales et les politiques communes. Cela suppose aussi de
faire marche arrière en matière de déréglementations, d’indépendance de
la BCE……

                                           *******************
     La sortie de crise  aura nécessairement une dimension
géopolitique. La puissance américaine, qui croyait écrire le XXIème
siècle sous le sceau de « la fin de l’histoire » et du triomphe de ses
valeurs libérales au plan économique, politique et même culturel, entre
dans une crise d’hégémonie. Cependant, rien n’est écrit : les
Etats-Unis peuvent  retrouver des ressorts qui consolideront leur
domination, la Chine et l’Asie peuvent tirer leur épingle du jeu.
L’Union Européenne, pour sa part, est aux abonnés absents, incapable de
porter une vision d’avenir de son destin et de celui de la planète.

      Dans ce trouble général, la France a un rôle particulier à jouer,
parce qu’elle a toujours été reconnue comme une nation politique, parce
que son histoire lui permet de défendre l’Etat et la liberté. La gauche
française a une responsabilité toute particulière à cet égard, elle
qui, malgré les flottements de ses dirigeants, n’a jamais admis dans
ses profondeurs ce capitalisme financier et ce libéralisme mondialisé
aujourd’hui en crise.

      Il faut changer et vite !

          Marie Noëlle Lienemann                            Paul Quilès

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