Numérique

A propos de l’examen du projet de loi « République Numérique »

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republique-numeriqueLe projet de loi « République Numérique », porté par la Secrétaire d’Etat Axelle Lemaire, est examiné en séance au sénat depuis mardi 26 avril. C’est une première étape positive pour prendre en compte dans notre législation les évolutions majeures qu’implique la révolution numérique dans notre société et nos économies.

J’avais déposé sur ce texte deux amendements :

  • le premier permettait d’empêcher les accords du type Microsoft/Education Nationale ;
  • le second proposait à nouveau la « Taxe Google » qui avait été adoptée par le sénat lors du budget 2016.

Ces deux amendements ont été empêché de séance sous des prétextes techniques, l’administration considérant que le premier relevait du réglementaire et que le second était un cavalier législatif. Je ne suis pas d’accord avec ces interprétations et je continuerai à défendre mes positions au Parlement sur ces sujets.

Vous retrouverez ci-dessous les deux amendements déposés.

Amendement n°606 au projet de loi RÉPUBLIQUE NUMÉRIQUE

Présenté par

Mme LIENEMANN

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Article additionnel après l’article 9 ter (Supprimé)

Après l’article 9 ter

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Les conventions qui permettent à l’État de disposer à titre gracieux, avec ou sans contre-partie, de produits ou de services informatiques, sont interdites.

Objet

En dehors du cadre des logiciels libres ou des standards ouverts, la gratuité des logiciels, formations ou services qui sont proposés au grand public se traduit nécessairement par des avantages indirects pour les entreprises qui les proposent. La contrepartie du courriel gratuit tient dans l’accès aux données personnelles des usagers. La contrepartie d’un site web gratuit correspond à l’affichage de publicités pour ses visiteurs. Un logiciel qui est offert permet de bénéficier de plus de retours des usagers pour l’améliorer, et aide à imposer les technologies qu’il utilise sur le marché – au détriment de ses concurrents. Mais ce qui relève du choix des usagers d’accepter ou de refuser individuellement les contreparties de cette gratuité ne saurait être accepté par l’État sans lourdes conséquences sur l’état du marché, de la concurrence, et finalement sur le public lui-même. En laissant un acteur du marché offrir gratuitement ses produits ou ses services à l’État, la contrepartie est évidemment de les imposer au grand public qui en aura pris l’habitude – le risque étant démultiplié dans certains secteurs sensibles comme l’éducation où cette fourniture gratuite de produits et services aboutira à former et formater des millions d’enfants à leur usage à un âge où ils auraient au contraire besoin de comprendre qu’il existe une grande diversité de possibilités.

Ces situations sont normalement contrôlées par le droit des marchés publics qui interdit que l’État accepte des produits ou des services gratuits en contrepartie d’avantages indirects pour les entreprises. L’objectif est à la fois de protéger l’égalité de traitement face aux marchés publics, mais aussi d’éviter le développement de pratiques qui peuvent rapidement relever du favoritisme ou de la corruption.

Ce contrôle permet également de s’assurer que les produits ou services qui sont fournis correspondent exactement au besoin initial de l’État et que la solution proposée soit la mieux adaptée.

Malgré cette interdiction, différentes administrations, dont notamment le Ministère de l’éducation, ont insisté pour accepter des conventions de ce type.

Bien que cette pratique nouvelle soit contradictoire avec l’ensemble des règles gouvernant les marchés publics en France et en Europe, bien qu’elle favorise des entreprises dont les pratiques fiscales aient pu justifier d’importants redressements, bien qu’elle vise des produits ou des services dont les fournisseurs aient pu déjà être condamnées par les autorités de concurrence françaises et européennes, le Ministère a tenu à passer outre en prétextant d’une volonté de pragmatisme et d’économie.

Cet amendement vise à adresser et interdire clairement cette pratique qui semble se développer, et à l’interdire nettement. A défaut il faudrait admettre que des entreprises peuvent faire du dumping sur le marché en proposant leurs produits et services gratuitement à l’État, et accepter toutes les dérives que cela peut représenter en termes d’avantages indirects, de corruption et de dégradation du service public.

* * *

Amendement n°178 rect. quater au projet de loi RÉPUBLIQUE NUMÉRIQUE

Présenté par

Mme LIENEMANN, MM.  CABANEL, YUNG et VAUGRENARD, Mmes  KHIARI et BONNEFOY et M. LECONTE

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Article additionnel après l’article 42 bis

Après l’article 42 bis

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l’article 209 B du code général des impôts, il est inséré un article 209… ainsi rédigé :

« Art. 209… – I. – Les bénéfices ou revenus positifs de personnes morales qui sont domiciliées ou établies dans un État étranger ou un territoire situé hors de France et y sont soumises à un régime fiscal privilégié au sens de l’article 238 A, lorsqu’ils sont liés à l’exercice d’une activité de vente de biens ou de services en France, sont réputés constituer un revenu imposable en France dans la proportion où ils sont générés par le biais de personnes morales domiciliées ou établies en France et contrôlées directement ou indirectement par elles, ou qui se situent sous leur dépendance économique, sauf à ce que le débiteur apporte la preuve que cette structuration correspond à des opérations réelles et qu’elle ne présente pas un caractère anormal ou exagéré.

« 1. Une personne morale domiciliée ou établie dans un État étranger ou un territoire situé hors de France est réputée pour les besoins du présent article disposer d’un établissement stable en France lorsqu’un tiers, établi ou non en France, conduit en France une activité pour la vente de ses produits ou services et que l’on peut raisonnablement considérer que l’intervention de ce tiers a pour objet, éventuellement non exclusif, d’éviter une domiciliation de la personne morale concernée en France. Le présent 1. ne s’applique pas aux personnes morales et aux tiers qui entrent dans la définition des petites et moyennes entreprises prévue à l’article 51 de la loi n° 2008 776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie, ni à celles dont le chiffre d’affaires annuel lié à la France est inférieur pris ensemble à 10 millions d’euros, ou dont les charges annuelles liées à la France sont inférieures prises ensemble à 1 million d’euros.

« 2. Une opération est notamment réputée présenter un caractère anormal ou exagéré lorsqu’elle entraîne pour les personnes morales qui y sont parties un bénéfice d’imposition supérieur au revenu positif raisonnablement attendu pour la personne établie ou domiciliée en France à l’époque de sa conclusion.

« 3. Le montant des revenus réputés imposables en France dans le cadre du présent article correspond au bénéfice lié à l’activité en France qui aurait été réalisé si l’opération avait été structurée sans que les considérations liées à l’impôt ne jouent aucun rôle, et compte tenu de charges attribuables à cette activité conformes au premier alinéa de l’article 238 A.

« 4. L’impôt acquitté localement par l’entreprise ou l’entité juridique, établie hors de France, est imputable sur l’impôt établi en France, à condition d’être comparable à l’impôt sur les sociétés et, s’il s’agit d’une entité juridique, dans la proportion mentionnée au premier alinéa du I.

« II. – Le I ne s’applique pas lorsque la personne morale établie hors de France démontre que les opérations conjointes avec les personnes morales établies ou réputées établies en France ont principalement un objet et un effet autres que de permettre la localisation de bénéfices dans un État ou territoire où elle est soumise à un régime fiscal privilégié. »

Objet

De nombreuses entreprises détournent aujourd’hui les bénéfices qu’elles réalisent dans un pays en payant des licences ou des redevances disproportionnées à des sociétés-mères localisées dans des paradis fiscaux. Ces paiements colossaux ne correspondent à aucune activité économique réelle. Ils n’ont comme seul objectif que d’éviter à ces entreprises de payer des taxes et des impôts dans les pays où elles exercent leur activité.

Ce détournement de profits se fait au détriment de l’État, des services publics, des entreprises locales concurrentes et des citoyens. Le développement de l’économie numérique est une chance pour notre pays et il ne sera possible qu’à la condition que l’ensemble des entreprises respectent les mêmes règles en termes de fiscalité. Des géants internationaux du fast-food à ceux de l’internet, les exemples d’optimisation fiscale défavorable à la France ne manquent pas depuis 5 ans. Les négociations internationales sur ces sujets ont abouti à des évolutions techniques, qui pour utiles qu’elles soient, ne règlent nullement le fond du débat et risquent d’être facilement intégrées dans les business models de ces entreprises déloyales. De surcroît le temps que ces dispositions puissent entrer en application sera assez long.

Le présent amendement vise à mettre un terme à ces pratiques et à réintégrer les profits détournés dans l’assiette de l’impôt. Il est calqué sur le régime mis en place par la partie 3 de la loi de finances 2015 du Royaume-Uni, auquel est cependant ôté la dimension de sanction fiscale. Il vient en complément de l’article 209 B du code général des impôts et concerne la situation inverse d’une personne morale établie hors de France et exploitant une entreprise en France.

Un amendement comparable – connu sous le nom de « taxe Google » – avait reçu de nombreux soutiens émanant de tous les bancs du sénat lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2016, avant d’être adopté par la Haute Assemblée, mais l’Assemblée Nationale avait préféré donner du temps pour que les recommandations de l’OCDE soient mises en œuvre de manière concertée, le gouvernement l’ayant convaincu que la législation française restait efficiente. Force est de constater que cela n’a pas été démontré. Il convient aujourd’hui de défendre à nouveau la logique qui avait convaincu la Haute Assemblée lors de l’examen du budget 2016.

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