Mixité sociale

Absence de mixité sociale : parler et s’en accommoder, ou agir pour inverser la spirale…

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Répondre à la demande de mixité sociale des habitants des quartiers, un défi républicain qu’on peut et doit relever !

L’interpellation à Montpellier du chef de l’État par une mère de famille plaidant pour la mixité dans son quartier démontre, s’il en était besoin, qu’une grande majorité des habitants des quartiers populaire, quels que soient la couleur de leur peau, leur religion ou leurs origines n’aspire pas à un repli communautaire mais, au contraire, souhaite le brassage social, culturel, le vivre ensemble que devraient assurer nos principes républicains.
Contrairement à ce que certains tentent de faire croire, la capacité à conjurer l’actuelle spirale de ségrégation repose moins sur une injonction assignée aux habitants de ces territoires que sur la transformation profonde des politiques publiques, ainsi que sur une bataille culturelle globale.
Oui, il faut tout à la fois dénoncer et combattre les comportements de rejet de l’autre, le processus de gentrification de la part des populations aisées ou bien insérées socialement que les thèses et pressions séparatistes des tenants de l’islam radical.
En tout cas, on peut et doit agir immédiatement pour lever les freins actuels à l’absence de mixité sociale. Évidemment, l’inversion de tendance exigera un certain temps et des interventions convergentes sur plusieurs fronts pour contrecarrer ces dérives qui menacent notre République.

Je n’ai pas la prétention de répondre de façon exhaustive mais je vois quelques impératifs à prendre en compte, en tout état de cause.

1- L’insuffisance et l’absence de logements sociaux dans certaines villes ou certains quartiers de grandes villes obèrent les capacités de mixité.

Il est absolument nécessaire de durcir encore la loi SRU et d’accélérer sa mise en œuvre. Faut-il rappeler qu’elle a été votée en 2000 et que, 20 ans plus tard, un nombre significatif de communes est très loin non seulement du seuil actuel des 25% de logements sociaux mais même du seuil initial de 20%. Si l’on peut comprendre que le rattrapage ne peut être que progressif, cela n’exige pas 20 ans ! Cette situation témoigne d’un manque de volonté collective et d’une impuissance de l’État à faire respecter les objectifs de la loi. S’il n’existe pas d’obligation faite aux préfets de reprendre les prérogatives d’urbanisme des maires en cas de défaillance, la même inertie continuera de prévaloir dans trop de villes. Il y a des maires de mauvaise volonté mais s’ils s’estiment en capacité de résister à l’application de la loi, c’est qu’une large partie des habitants de leurs communes les félicitent et les soutiennent. C’est pourquoi la fermeté de l’État et un combat culturel, fondé sur nos convictions républicaines, sont ici indispensables.
Par ailleurs, il faut désormais que les logements sociaux comptabilisés pour mesurer le taux défini par la loi soient réellement sociaux. Si l’on reste au seuil de 25%, il faut maintenant ne plus prendre en compte que les PLUS et PLAI et non les PLS qui s’apparentent au social supérieur ou intermédiaire. Ainsi, on pourrait passer le seuil à 30% parmi lesquels le PLS et équivalents ne dépasseraient pas les 7%. Car si ces logements en locatif ou accession sont dans certains secteurs un complément intéressant au logement social, ils ne sauraient se substituer aux forts besoins d’habitat réellement accessible aux foyers modestes et pauvres. L’obligation de résultats dans un échéancier court est un enjeu crucial. Faut-il encore que l’État améliore les outils techniques et financiers pour les atteindre, notamment en permettant partout la production de logements à bas loyers – en particulier dans le tissu urbain existant, avec l’achat de logements existants, par la réhabilitation de l’ancien, la reconversion d’immeubles de bureaux ou de zones commerciales. Ce ne sont que quelques exemples. Tout ceci est cher et pour obtenir des loyers de sortie bas, il faut fortement augmenter les aides à la pierre.

2- La hausse des prix du foncier et de l’immobilier est supérieure à la progression du revenu des Français.

Cela a joué et joue encore un rôle destructeur de tamis social, rejetant de plus en plus loin du centre des agglomérations et secteurs attractifs les plus pauvres, les milieux populaires puis les catégories moyennes. Or la simple construction de logement sociaux ne pourra à la fois résorber les retards accumulés et ce mouvement ségrégatif dû au marché. Au passage, notons l’impact écologique particulièrement nocif de ce mouvement qui s’ajoute aux problèmes sociaux qu’il induit. Bon nombre des travailleurs « essentiels » ont impérativement besoin de ces logements très abordables ou sociaux et sont de plus éloignés de leur lieu de travail !
Il est urgentissime de réguler les prix du foncier et de l’immobilier, en particulier, en encadrant très rigoureusement les loyers, en ciblant drastiquement l’investissement locatif privé vers des logements de type PLUS et PLAI. Car tous les avantages fiscaux renouvelés depuis des années ont un si large spectre qu’ils ont contribué à la cherté des terrains. Au-delà de ces premières mesures, il faut concevoir dans cet esprit une nouvelle fiscalité foncière et immobilière alors que la réduction de l’artificialisation des sols aura mécaniquement un effet inflationniste. Voilà un chantier majeur.

3- Il ne faut pas se tromper de diagnostic, tout ne relève pas de la politique du logement. La mixité recule quand la pauvreté s’accroît, lorsque le pouvoir d’achat stagne ou diminue.

Ainsi, non seulement la mobilité sociale s’arrête, mais les plus pauvres ne peuvent plus assumer leurs dépenses de logement – qui représentent en moyenne près de 25% de leurs revenus (jusqu’à plus de 30% pour un smicard dans un logement privé) – et se voient donc attribuer les logements les moins chers, souvent dans des quartiers où vivent déjà de nombreux foyers modestes ou en difficulté. Ces derniers étant refusés par les foyers ayant davantage le choix, la boucle est bouclée.
Bien sûr, la priorité absolue est de réduire les inégalités de revenus, d’augmenter les salaires bas et moyens, d’engager une revalorisation de nombreuses professions, notamment celles qui sont le plus souvent féminisées et les travailleurs essentiels, ainsi que lutter contre la pauvreté.
Sans cela, la dé-ségrégation des quartiers pauvres n’aura pas lieu. Là aussi, même si cette politique est engagée – et ce doit être un de nos combats pour la relance et la réussite de la sortie de crise –, elle n’aura pas d’effet puissants immédiats. C’est pourquoi doit être notamment votée, dès le prochain budget, la hausse des APL pour que les plus modestes puissent aisément accéder aux logements sociaux dont les prix ne sont pas les plus bas.

4- La question éducative et culturelle est cardinale.

Une révision profonde des cartes scolaires s’impose. Elle sera particulièrement complexe là où la configuration urbaine est déjà très homogène et très densément contrainte. Elle doit être repensée pour, tout à la fois, stopper l’hémorragie des enfants de familles aisées ou moyennes vers d’autres établissements ou vers le privé, mais aussi pour assurer un véritable brassage dans l’école.
Il faut ouvrir dans les établissements qui comptent le moins d’élèves issus des catégories populaires une part affectée à ces derniers et revoir le maillage et la localisation des écoles, collèges et lycées pour qu’ils permettent mieux la mixité. Le renforcement massif des moyens mis à disposition des établissements qui demeurent adossés aux quartiers populaires les plus homogènes socialement est impératifs : il faut viser pour eux l’excellence (options, dédoublement, moyens pédagogiques, etc.).
Mais l’école seule ne peut pas tout et c’est à travers l’éducation populaire que nous devons agir pour restaurer un brassage culturel qui permettra le partage de nos valeurs – celles de la République –, d’échanger, d’ouvrir l’esprit de chacun, de développer la connaissance, l’éveil et d’élever le niveau culturel de tous. C’était une grande ambition du Front Populaire. Il faut reprendre ce flambeau avec des méthodes contemporaines et avec le souci de favoriser des activités, des rencontres, des partages au-delà de son quartier, de son univers habituel afin de combattre tous les enfermements.
Des initiatives sont prises ici où là au bon vouloir des collectivités locales mais, d’une part, elles sont loin d’être systématisées et, d’autre part, elles exigent des engagements financiers que ces collectivités ne peuvent toutes assumer. Il y a donc de lourdes inégalités territoriales qui s’ajoutent aux disparités qui préexistent entre les familles.
Je plaide depuis longtemps pour la création d’un grand ministère de l’éducation populaire qui devra travailler, à tous les échelons, en lien étroit avec l’éducation nationale, afin d’offrir en dehors du temps scolaire ces activités valorisantes, éducatives, d’éveil, culturelles sportive. Il ne s’agit pas de re-centraliser ces politiques mais, force est de constater, que la décentralisation n’a pas permis de résorber les inégalités et les déterminismes sociaux. Il faut donc repenser une complémentarité effective entre l’action locale, l’intervention de l’État, le « hors école », entre l’instruction et les activités extra-scolaires, pour que chacun bénéficie vraiment des meilleures chances d’intégration, de réussite personnelle et scolaire. Pour cela, il faut des intervenants compétents, de la pérennité dans les activités ; il faut que cela soit mis en place partout, et d’abord dans les territoires où vivent des familles en grande difficulté. Il faut sans doute des contractualisations et partenariats de longue durée mais aussi une armature commune dans tout l’hexagone pour garantir l’égalité et la qualité pour tous.
Ce ministère devra recruter des postes de coordonnateurs, qualifiés, qui veilleront à une offre éducative nouvelle sur chaque territoire, attractive pour les enfants, les jeunes et leurs familles, en s’appuyant sur les initiatives locales mais aussi lançant des projets complémentaires. Cela doit concerner les centres de loisirs, les accueils matin et soir, les activités de week-ends et de vacances, la vie des centres de quartiers. Cela passera également par le fait de soutenir les associations et les clubs sportifs, par le fait de qualifier et stabiliser les personnels municipaux, par la participation des habitants mais aussi la multiplications des activités, par exemple de création culturelle, audiovisuelle, de culture scientifique et technique, de codage et de maîtrise du numérique, en jouant au maximum le décloisonnement géographique et l’accès pour tous. Il faut des lieux, des animateurs très qualifiés, formés, correctement rémunérés, conscients aussi de leur rôle dans la transmission des valeurs et l’importance du brassage culturel et social.
Ces nouvelles opportunités doivent être créées rapidement dans les quartiers populaires, mais aussi dans les zones rurales ou péri-urbaines où la pauvreté est souvent sous estimée et où les enfants ont besoin eux-aussi de cette éducation populaire rénovée.

On le voit : la tâche est considérable, les moyens à mobiliser également, mais c’est bien le devenir de la société française et de notre République qui sont en cause.

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