Intelligence économique

Naïve face à ses concurrents, « la France doit se doter d’une stratégie d’intelligence économique »

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entretien dans Marianne, par publié le 

Guerre économique

La sénatrice rattachée au groupe communiste Marie-Nöelle Lienemann a déposé une proposition de loi pour que la France se dote d’une stratégie nationale d’intelligence économique, tels ses voisins européens et des grandes puissances économiques internationales. Une nécessité pour affronter la guerre économique sans naïveté, estime-t-elle.

Pour reconquérir une souveraineté économique et engager sa réindustrialisation, la France a besoin d’une loi sur l’intelligence économique. Telle est la vision de la sénatrice rattachée au groupe communiste Marie-Noëlle Lienemann, qui a déposé le 25 mars une proposition de loi (PPL) allant dans ce sens.

Son but : créer un front politique large allant de la gauche à la droite, du Sénat à l’Assemblée nationale, afin que la France se dote, par le biais d’une loi, d’outils pour se prémunir contre les attaques prédatrices de concurrents internationaux sur ses entreprises stratégiques. Ces attaques accentuent la désindustrialisation du pays, provoquent souvent des fermetures d’usines, et créent des drames humains.

ATTENTISME

« Nous sommes en guerre économique et pourtant ni notre pays ni les institutions européennes n’en tirent les conséquences », déplore Marie-Noëlle Lienemann, indignée que les scandales Alstom Power (2014) et Technip (2017) – des fleurons industriels français laissés aux mains de concurrents anglo-saxons – n’aient pas suscité davantage de réactions chez les dirigeants politiques aux manettes. L’ancienne députée européenne rappelle aussi à Marianne que bien au-delà des grands groupes, à force d’attentisme, « nous perdons tous les jours des PME qui ont un intérêt industriel de premier ordre ».

La sénatrice Marie-Noëlle Lienemann aimerait que la France puisse davantage protéger son économie
Daniel Pier / NurPhoto / NurPhoto via AFP

La France doit donc se protéger « sans naïveté face aux opérations financières destinées à nuire à son économie ». Que ce soit face aux grandes puissances internationales réputées très agressives, telles que les États-Unis, la Chine ou la Russie, mais aussi face à ses voisins européens avec lesquels « la France est, tous les ans, déficitaire d’environ 30 milliards d’euros dans ses échanges commerciaux ».

UN SECRÉTARIAT GÉNÉRAL DÉDIÉ

Au sommet de l’État, la sénatrice propose donc d’introduire de manière permanente une stratégie d’intelligence économique, via la création d’un secrétariat général à l’intelligence économique (SGIE) rattaché à Matignon, ainsi que par la création d’un emploi de chargé d’intelligence économique au sein de chaque ministère.

De même, en matière diplomatique, un poste de chargé d’intelligence économique devrait être créé dans chaque ambassade, et les ministères des Affaires étrangères et européennes devraient concevoir, en lien étroit avec le SGIE, une stratégie d’influence économique internationale.

Pour ce qui concerne le Parlement, Marie-Noëlle Lienemann fixe dans sa PPL l’obligation d’intégrer les enjeux d’intelligence économique dans les études d’impact et les exposés des motifs des projets et propositions de loi. Mais aussi d’analyser ces mêmes enjeux pour « toute forme de financement public » à partir d’un seuil de plusieurs centaines de milliers d’euros.

Enfin, la sénatrice veut mettre en place « une coordination des services de renseignements en matière économique » ainsi « qu’une veille permanente en matière technologique, géoéconomique et normative ». L’idée étant de pouvoir anticiper et réagir lorsqu’il se trame dans l’ombre une offensive économique contre un fleuron français.

CHANGEMENT CULTUREL

Surtout, l’ancienne membre du parti socialiste propose une évolution culturelle en France vis-à-vis des sujets de guerres économiques. « Ce n’est pas dans nos gènes », s’est-elle déjà vue opposer au sein de son ancien parti politique lorsqu’elle proposait de réfléchir à un programme d’intelligence économique.

Pour faire évoluer les mentalités, elle aimerait instaurer « des programmes de recherche interdisciplinaire en intelligence économique et des chaires universitaires ainsi que des modules d’enseignement en matière d’intelligence économique au niveau master ». Ainsi, les futurs cadres, ingénieurs, juristes, chargés d’affaires et autres fiscalistes auraient conscience que de nombreuses activités sont exposées à la guerre économique.

Ce changement culturel vaudrait aussi pour Bercy, empêtré dans une logique néolibérale qui vise à limiter les contraintes au marché libre, et donc à ne pas brusquer les multinationales françaises qui ont délocalisé ces trente dernières années. « Il faut arrêter avec cette petite musique qui dit qu’on ne peut pas réindustrialiser la France », peste l’ex-ministre déléguée au Logement, qui veut rendre Bercy plus proactif dans la défense des intérêts économiques du pays.

IMPLIQUER LES TERRITOIRES

Elle compte aussi mettre fin au mélange des genres entre le secteur public et le secteur privé : dans sa PPL, il est écrit que « la Haute autorité pour la transparence de la vie publique »demandera« l’avis du SGIE lors d’une demande d’autorisation de cumul d’emplois publics et privés, lors d’une demande d’autorisation de « pantouflage » ou de « rétro-pantouflage » pour les fonctionnaires soumis à ces obligations ».

Enfin, la sénatrice veut davantage impliquer les territoires, plus à même de faire remonter les difficultés économiques locales, en créant un « contrat plan » qui préciserait « en particulier les modalités d’appui et d’intelligence économique dans un but de développement local ». Et afin « de partager les informations pertinentes ainsi que les enjeux et opportunités qui sont identifiés par les différents acteurs »elle mettrait en place« une conférence biannuelle de l’intelligence économique comprenant l’État, les collectivités territoriales, les corps sociaux intermédiaires, les entreprises et les syndicats ».

L’EUROPE, LE SUJET QUI FÂCHE

Si l’on peut penser que nombre de ses propositions feront consensus au sein de la classe politique, sur le thème de l’Europe, en revanche, on peut d’ores et déjà prévoir des divergences de fond, notamment avec la majorité LREM à l’Assemblée nationale. S’affranchir en partie de l’Europe en matière de souveraineté économique est en effet « culturellement le sujet le plus compliqué à faire évoluer, car on nous dit régulièrement que le problème industriel se réglera au niveau européen. Mais je pense qu’en attendant que cela soit possible, il faut déjà le faire au niveau français », assène Marie-Noëlle Lienemann.

La sénatrice a bon espoir de trouver une niche parlementaire d’ici la fin de l’année pour que sa PPL soit discutée en séance publique. Elle aimerait voir sa proposition de loi soutenue et amendée par ses collègues parlementaires de tous bords. Reste à savoir si ce thème créera un engouement suffisant pour qu’un réel débat ait lieu.

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Qui je suis

Sénatrice de Paris et coordinatrice de la Gauche Républicaine et Socialiste, je milite depuis plus de 40 ans aux côtés de ceux qui luttent pour la justice sociale, la bifurcation écologique et la 6e République.