DEUX LEÇONS À TIRER DU PROJET DU BARRAGE DE SIVENS : UNE POLITIQUE DE L’EAU FRANCAISE CHAOTIQUE, L’URGENTE RÉNOVATION DE L’ETAT.

Partager sur facebook
Partager sur twitter
Partager sur linkedin

eaueauBruxelles va engager une procédure contre la France concernant le projet de barrage de Sivens. Le motif serait le non respect de la directive cadre sur l’eau.

Je connais bien ce texte car j’en fus la rapportrice au Parlement Européen et j’ai donc négocié avec le Conseil des ministres le contenu final dans la procédure de codécision. Cette directive date de 2000. Elle est ambitieuse car elle vise à restaurer le bon état écologique des fleuves, rivières, eux de surfaces d’ici 2015 et à inverser la tendance à la dégradation des nappes phréatiques et eaux souterraines à cette échéance. Le temps sera long pour redonner une bonne qualité à ces eaux profondes car les nappes se reconstituent lentement avec les infiltrations. Or elles sont essentielles pour notre avenir et la disponibilité d’eau potable.

Dés son adoption, j’ai tenté, en vain, de mettre en mouvement le gouvernement et les pouvoirs publics français sur l’importance de ce défi, sur les difficultés à surmonter mais aussi sur les opportunités qu’il ouvrait pour l’emploi, pour le développement industriel et technologique. J’ai lourdement insisté sur l’indispensable mobilisation citoyenne, sur la nécessité d’informer, de former et d’associer les élus comme l’ensemble des fonctionnaires et aménageurs qui seraient confrontés à ces nouvelles exigences. J’ai aussi tiré la sonnette d’alarme sur les financements importants qui seraient nécessaires, soulignant qu’il fallait rapidement planifier la manière dont notre pays mettrait en œuvre cette nouvelle législation, comment il comptait atteindre ces objectifs.

Des retards inacceptables dans la mise en œuvres de la directive cadre sur l’eau et une forme d’indifférence collective regrettable.

La traduction en droit français s’est réalisée par la loi sur l’eau votée seulement en 2006. 6 ans de perdus et un délai beaucoup plus court pour obtenir les résultats attendus !

Le pays a fait l’autruche refusant d’affronter les lourdes difficultés qu’il faudrait surmonter, en particulier financières, et, au regard des programmes retenus par les agences de bassin, c’est moins de 40 % des masses d’eau françaises qui atteindront les objectifs de la directive… Franchement, ce n’est guère raisonnable quand on voit les dégâts que font les algues vertes par exemple. Ce n’est pas raisonnable quand on voit que la France n’applique pas la directive nitrates qui date pourtant de 1991 et que ce taux élevé de nitrates, comme de pesticides, est très nocif non seulement pour l’environnement mais aussi pour la santé.

Une loi est votée et l’opinion croit le sujet réglé. S’agissant de la politique de l’eau, comme de bien d’autres, il y a loin de la coupe aux lèvres.

Et je m’étonne qu’elle passe le plus souvent à l’écart des grands débats écologiques. Les conférences annuelles sur l’environnement ne la traitent jamais sérieusement et globalement alors qu’elle est toute aussi importante et, d’ailleurs en partie, liée avec le changement climatique.

Or, ne pas la mettre au devant de la scène empêche de développer une culture partagée des enjeux, des bonnes pratiques comme de la façon de concevoir l’aménagement urbain rural, l’organisation de l’agriculture. Sans cela, les citoyens, les élus et les professionnels n’auront pas les réflexes de prévention, de chasse au gaspillage, de protection qui sont indispensables et verront cette politique comme une somme de normes, de contraintes, de dispositifs administratifs lourds, bureaucratiques et parfois incompréhensible à leurs yeux.

sivensReste qu’une question reste sans réponse à mes yeux, au-delà du drame de la mort de ce jeune manifestant à Sivens. Comment l’État a-t-il pu passer un aménagement qui aujourd’hui semble incompatible avec une directive qui date de 2000 ?

Certes, le projet semble avoir démarré en 1999, avant la directive cadre sur l’eau. Différentes décisions opérationnelles vont avoir lieu postérieurement à la directive. Le plan de gestion de l’étiage du Tescou, qui va servir de base au projet, est approuvé par la commission planification de l’agence de Bassin en 2003 et par le préfet du Tarn-&-Garonne, préfet-coordonnateur du bassin hydraulique en 2004. On est dans cet entre-deux où la directive européenne est votée mais pas transposée en droit français. Mais ce projet est confirmé par le SDAGE (schéma d’aménagement et de gestion des eaux) Adour-Garonne approuvé en 2009, soit postérieurement à la loi sur l’eau.

Il y a là plus qu’un mystère, mais plutôt un malaise sur l’efficacité du contrôle de l’administration d’État en particulier en matière d’environnement. Et ce n’est pas, hélas, la première fois qu’on peut observer ces manquements. Il faut dire qu’à force de réduire les postes de fonctionnaires d’État sur les territoires, l’ingénierie locale s’affaiblit terriblement comme d’ailleurs les contrôles et le respect des règles.

Qu’a dit, qu’à fait l’agence de l’eau ?

Est il acceptable qu’il y ait un délai si long entre les premières études sur un équipement et la mise en œuvre effective, alors que les techniques, les exigences, les besoins et le solutions ont pu considérablement évolué ?

On voit que ces loupés à répétition coûtent chers, que ces méthodes provoquent des gaspillages, des lenteurs, une incompréhension qui, au final, délégitime l’État et fait le jeu des Libéraux ou de tous ceux qui contestent l’intérêt général.

Quand est il de la subvention annoncée et prévue du FEADER pour plus de 2 Millions d’euros ? Était-elle notifiée ? Les services de la Commission européenne avaient-ils donné leur accord ?

Normalement, l’Union Européenne ne peut financer des projets qui ne sont pas conformes aux directives communautaires.

Cet exemple révèle de profonds dysfonctionnements de l’intervention publique en France aujourd’hui. Ils montrent l’urgence d’une rénovation majeure de son organisation, de ses moyens, de ses priorités. La question du mille-feuille territorial n’était pas et n’est pas la question principale ; celle des compétences des différentes collectivités l’est davantage et j’ai toujours plaidé pour que la politique de l’eau dans son ensemble soit confiée aux régions, avec un corollaire : le prix unique de l’eau et la mise en œuvre d’un véritable service public régional et d’une coopération inter-régionale pour assurer la cohérence par grands bassins versants. Au passage, les nombreux syndicats intercommunaux gérant l’eau devraient ainsi vite disparaître, ils coûtent chers, sont souvent redondants ou trop fragmentés.

Mais ce qui doit être tranché, dans ce cas comme dans d’autres est la manière dont l’État est garant du respect par tous des cadres et des objectifs fixés par la loi, de l’action effective et conforme des collectivités et acteurs locaux et d’une planification et programmation opérationnelle des grandes politiques nationales, voir européennes.

Or toute la culture administrative récente fait flores de schéma (pour l’eau, les SAGE, les plans d’expositions aux risques d’inondations, la protection des zones humides, etc.), de plans thématiques – le plus souvent seulement indicatifs – de normes – pas toujours respectées, même par l’État lui-même –, de dispositifs (allègements fiscaux, incitations, démarches, etc.), de pseudo-évaluations – le plus souvent essentiellement budgétaires et rarement qualitatives et complètes. Mais, dans le même temps, elle est incapable de rationaliser dans une vision globale, perceptible par tous les acteurs concernés, ce qu’il faut faire, de programmer dans le temps la mise en œuvre de priorités avec les moyens afférents et la définition des responsabilités respectives de chacun, et de suivre et vérifier si les objectifs sont atteints, si des défaillances sont observées pour y remédier et éventuellement les sanctionner.

Bref ce qui paraît une évidence est loin d’être la réalité.

On pourrait considérer qu’il s’agit là d’une forme nouvelle de la planification. Le mot et la chose semble faire peur aux libéraux (ça ne m’étonne guère ils pensent que l’intérêt général est la somme des intérêts particuliers arbitrés par le juge), mais aussi à certains à gauche qui se sont laissés égarés par des visions court-termistes, par cette obsession de la communication qui prend le pas sur le suivi patient de l’action et du réel, par l’économisme étriqué ou encore par ce refus d’exiger des collectivités locales qu’elles respectent toutes des impératifs d’intérêt général national (constructions de logement, aménagement cohérent de la gestion de l’eau, etc.).

Ils ne parlent de l’autorité de l’État que pour l’ordre public (et c’est essentiel) mais négligent celle qui s’impose sur le champ social ou environnemental. Tout ce passe comme si le désengagement financier de l’État était « compensé » par sa perte d’autorité et de pertinence.

Bien des maux proviennent aussi de la domination désormais absolue de Bercy sur tous les arbitrages, plaçant une pseudo-compétence financière au dessus de toutes les autres. Les ingénieurs sont moins considérés sauf s’ils ont fait l’ENA et l’inspection des finances et le cloisonnement des cultures administratives sous la tutelle de Bercy est désastreux.

J’ai suffisamment pesté contre les ingénieurs des ponts qui ont tardé a faire leur révolution culturelle, celle du développement durable et de la transition écologique, pour aujourd’hui constater que leur relégation au sein de la fonction publique au détriment des énarques de l’inspection de finances est extrême négative pour le pays. Ce qui est vrai au niveau de l’État central, l’est aussi sur les territoires où de surcroît la réduction des effectifs a provoqué des poches où l’État est quasiment absent et n’est plus en mesure de tenir ses missions Même s’il faut les redéfinir.

Or aucune réorganisation stratégique de l’administration, de l’État n’est publiquement débattue, ni engagée. Comme si en laissant l’état s’affaiblir, mourir à petit feu, manifester de plus en plus de carences on préparait les français à renoncer à l’un des piliers de leur modèle républicain, jugé ici trop coûteux, là trop tatillon et dépassé dans une mondialisation sous pilotage libéral. L’État est trop devenu, aux yeux de nos concitoyens, des coûts (rappelons que comparer à nos voisins européens, c’est la protection sociale qui fait l’écart de dépenses et que le coût de fonctionnement des administrations locales et nationales est dans la moyenne), des déficits, une dette. Ou un empêcheur de tourner en rond.

Dans le même temps, nos concitoyens demeurent attaché à l’idée de l’État, stratège, garant du long terme, de l’intérêt national et de l’égalité républicaine. Ils enragent d’autant plus qu’il ne répond plus à leurs attentes. Plutôt que des réformes « structurelles » de réduction à la toise de la voilure de l’État mieux vaudrait travailler à le rénover pour restaurer son efficience et la confiance du peuple. Il n’est pas sur qu’au final il n’y ait pas de réelles économies, mais tel n’es pas le but. Car un bon fonctionnement de l’action publique est non seulement essentiel pour les français mais aussi pour la compétitivité globale de la France.

Cette réforme exigera d’y associer les fonctionnaires qui trop souvent sont cantonnés dans des tâches d’exécution sans autonomie, alors que leur niveau culturel s’est élevé. Ils observent aussi très bien ce qui ne marche pas, à leur yeux, mais aussi des usagers, des partenaires.

Le Président de la République a indiqué lors de la conférence environnementale que, désormais, lorsqu’il y aurait de telles tensions et désaccords pour un équipement ou un aménagement, il pourrait été organisé un référendum local (j’imagine déjà les débats houleux qui vont avoir lieu sur le périmètre pertinent du corps électoral) mais avant même d’y recourir il faut absolument veiller à ce que les pouvoirs publics, et, en dernier ressort, que l’État vérifie le respect des lois, des directives, contribue à faire émerger des solutions intelligentes, économes et pragmatiques répondant aux besoins des habitants, de l’économie locale et aux exigences environnementales.

J’aurais aimé que le président de la république ouvre ce chantier majeur.

LES DERNIERS ARTICLES