Lanceurs d'alerte

La commission des lois du Sénat contre les « lanceurs d’alerte »

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Vous avez été plusieurs centaines à m’écrire, ainsi qu’à d’autres parlementaires, concernant l’examen par le sénat de la proposition de loi visant à « améliorer la protection des lanceurs d’alerte. » Déposée par le député Sylvain WASERMAN, déposé à l’Assemblée Nationale le 21 juillet 2021 et adopté par cette chambre le 17 novembre, elle transpose de manière attendue la directive européenne sur les lanceurs d’alerte. En soi, elle représente une avancée… Malheureusement, la commission des Lois du Sénat l’a détricotée et donc vidé de son contenu tous les éléments progressistes nécessaires. J’ai donc voté contre le texte issu de la commission des Lois du Sénat qui avait terriblement inquiété associations, syndicats, citoyens et lanceurs d’alertes, mais qui était soutenu par la majorité conservatrice de notre assemblée.
Les associations de défense des lanceurs d’alerte et les syndicats étant présents mercredi matin devant le sénat (cf. photo © Jean Nicholas Guillo / Greenpeace) pour protester, mon collaborateur parlementaire était présent à leurs côtés.
Vous trouverez ci-dessous la réponse que j’ai adressée mercredi 19 janvier au matin aux personnes qui m’avait écrite pour s’alarmer des graves reculs opérés par la commission des Lois du Sénat. 


Madame, Monsieur,

Depuis plusieurs années, la protection des lanceurs d’alerte est devenue, pour nos sociétés, un véritable marqueur démocratique. L’émergence des lanceurs d’alerte est une question de droits fondamentaux qui repose sur la liberté d’expression et d’information, mais aussi un fait de société dans notre monde des réseaux sociaux et des nouvelles technologies de l’information, car chaque citoyen qui veut lancer une alerte peut techniquement le faire. La question qui se pose, au-delà de l’impact du signalement, porte dès lors sur les conséquences auxquelles ils s’exposent en lançant l’alerte et donc sur la protection que nous devons leur apporter.

Le Conseil de l’Europe, son Assemblée parlementaire ou encore le Groupe d’États contre la corruption (GRECO) se sont saisis, depuis plusieurs années, de ce sujet pour impulser un changement normatif au sein des différents États membres.

Si la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique dite « Sapin II » a marqué un tournant dans la protection des lanceurs d’alerte, elle doit, à l’occasion de la transposition de la directive (UE) 2019/1937, être renforcée et tirer toutes les conséquences de l’évolution du droit et des travaux européens.

Cette directive du 25 septembre 2019 permet la création d’un cadre commun pour la protection des lanceurs d’alerte signalant une violation du droit de l’Union européenne. La France a jusqu’à la fin de l’année 2021 pour la transposer.

Selon son exposé des motifs, cette proposition de loi « vise à construire un environnement clair et protecteur pour les lanceurs d’alerte et capitalise sur le retour d’expérience du cadre législatif actuel, les avancées de la directive européenne et les rapports de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Cet environnement cohérent et équilibré à vocation à devenir un cadre de référence au niveau européen pour la protection des lanceurs d’alerte. »

Les principales mesures du texte étaient les suivantes :

  • Une définition étendue des lanceurs d’alerte plus adaptée aux réalités et aux enjeux de leur protection notamment parce qu’elle supprime la notion ambiguë de désintéressement (Art. 1er et 2)

  • Des canaux internes et externes clarifiés, dont le choix est libre, avec des exigences de délais vis-à-vis du lanceur d’alerte qui seront formalisés par décret (sept jours pour accuser réception, trois à six mois pour le traitement du signalement) (Art. 3)

  • Un renforcement conséquent de la protection des lanceurs d’alerte avec des sanctions pénales et/ou civiles à l’encontre de ceux qui divulguent leur identité, visent à étouffer le signalement ou à ensevelir les lanceurs d’alerte sous des procédures abusives (Art. 3 à 6)

  • Une meilleure reconnaissance et protection de celles et ceux qui accompagnent le lanceur d’alerte et peuvent ainsi se retrouver exposés parce qu’ils ont joué un rôle actif dans le signalement de l’alerte. (Art. 2)

  • De nouveaux outils à disposition de la justice pour faciliter la défense des droits des lanceurs d’alerte ainsi que leur reconversion professionnelle si elle est nécessaire (Art. 7 à 11ter)

  • En parallèle, la proposition de loi organique élargit les missions du Défenseur des droits en vue de l’accompagnement des lanceurs d’alerte. Il est proposé qu’il exerce un rôle pivot dans la procédure de signalement externe et qu’il puisse émettre un avis sur la qualité de défenseur d’alerte de toute personne qui le saisit. Enfin, le Défenseur des Droits serait chargé de l’évaluation du système de protection des lanceurs d’alerte en France.

L’évolution du texte en commission des lois au Sénat : une réécriture à contre-courant

Les propositions de la rapporteure au Sénat et des élus des sénateurs de la majorité sénatoriale, instrumentalisés par les lobbies agricoles, ouvrent la voie à des régressions extrêmement inquiétantes, notamment dénoncés par Transparency international France et la Maison des lanceurs d’alerte (qui regroupe 17 organisations syndicats et associations), ainsi que de nombreux de nos concitoyens qui n’ont eu de cesse d’alerter les élus.

Les différents coups portés par la commission des lois du Sénat :

  • Le texte adopté par les députés définit le lanceur d’alerte comme « une personne physique qui signale ou divulgue sans contrepartie financière directe et de bonne foi, des informations portant sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l’intérêt général », ou une violation d’un engagement international de la France. à La commission des lois a réécrit cette définition, en supprimant la notion de « menace ou préjudice pour l’intérêt général », remplacée par celles d’« actes ou d’omissions allant à l’encontre des objectifs poursuivis par les règles de droit. » Cette modification est d’une particulière gravité car elle vise à remettre en cause l’avancée démocratique la plus forte de la loi Sapin 2 de 2016 qui prévoyait la protection des lanceurs d’alerte non seulement lorsqu’il dénonce une violation de la loi dans un cadre professionnel mais aussi quand il relève un fait qui constitue un « préjudice pour l’intérêt général » Du même coup, le Sénat balaie en même temps la loi Waserman.

  • Autre modification qui inquiète les associations : le fait que les facilitateurs qui accompagnent les lanceurs d’alerte ne seraient plus reconnus que s’il s’agit de personnes physiques (et non morales de droit privé), la rapporteure estimant qu’il est indispensable « d’imposer des garde-fous, afin que le régime ne soit pas détourné de ses finalités par des officines qui chercheraient à déstabiliser les administrations ou les entreprises françaises. »

  • Autre coup porté au texte de la commission : le contournement de l’obligation de mettre en place une ligne d’alerte interne en ouvrant la possibilité pour les holdings de ne pas mettre en place dans chaque société ou filiale cette ligne d’alerte interne mais de mutualiser le système au niveau du groupe ou de prévoir qu’une seule des sociétés gère cette ligne. Cela est également contraire à la directive.

  • Une autre atteinte grave au régime en vigueur tel qu’issu de la loi Sapin 2 : la suppression du référé-liberté de plein droit pour les agents publics lanceurs d’alerte (qui peut être utilisé dans le cas où une décision administrative porte une atteinte à une liberté fondamentale).

  • La commission est également revenue sur l’irresponsabilité pénale des lanceurs d’alerte, précisant qu’elle ne s’étendrait pas aux « atteintes à la vie privée » (ex : la violation de domicile) ni aux « atteintes aux systèmes de traitement automatisé des données ».

Néanmoins quelques rares mesures adoptées constituent des avancées :

– l’extension aux facilitateurs des mêmes protections que celles afférées aux lanceurs d’alerte ;

– l’inscription dans la loi de la liste complète des mesures de représailles contre les lanceurs d’alerte, qui sont citées dans la directive européenne … ;

– ou encore l’extension des pouvoirs du juge administratif qui pourrait prescrire la réaffectation à son poste précédent de toute personne ayant fait l’objet d’un changement.

La position adoptée par la commission des lois, manifestement poussée par divers lobbys, dont celui des industries agroalimentaires (notamment l’Association bretonne des entreprises agroalimentaires) est plus que réactionnaire et s’inscrit en soutien indéfectible aux grandes entreprises frileuses de ce genre de « contrôle » échevelé qui pourrait leur nuire.

Nous considérons pour notre part que cette proposition de loi progressiste, fidèle à l’esprit de la directive qu’elle transpose, et issue de plus de deux années de mobilisation de la société civile, porte en elle l’espoir d’un réel renforcement des droits des lanceurs d’alerte, et révèle d’importants enjeux en matière de libertés publiques et de droit de savoir des citoyens.

C’est pourquoi mon groupe parlementaire souhaite rétablir en séance ses principales avancées (parmi les plus progressistes d’Europe en la matière). En cela, il défendra 12 amendements en séance, dont certains proposent d’aller plus loin encore dans la définition et la protection des lanceurs d’alerte, en suivant quelques recommandations de la Maison des lanceurs d’alerte.

Si ceux-ci étaient adoptés (d’autres groupes souhaitent rétablir le texte d’origine), nous pourrions voter ce texte, au cas contraire je voterai avec mon groupe contre le texte réécrit par la commission des lois du Sénat.

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