Pierre Mendès France

Se souvenir de Mendès France : oui, mais alors, vraiment !

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Les hommages se multiplient ce matin pour le 40ème anniversaire de la mort de Pierre Mendès France. L’homme a marqué de son empreinte notre vie politique et la gauche et il l’a fait avec une singularité qui rend encore plus hypocrites les commémorations institutionnelles faites en son nom.

Il est en effet assez consternant de voir que ceux qui se réclament avec le plus de clinquant (surtout et d’abord pour revendiquer son attachement à la prudence budgétaire et l’y réduire) sont en réalité ceux qui trahissent avec constance des convictions profondes qu’il avait défendues avec fougue : une certaine conception de l’exercice du pouvoir et de la souveraineté populaire.

Qu’on se rappelle son admonestation de 1957 pour justifier son refus de ratifier le Traité de Rome qui créait la Communauté Économique Européenne et qui résonne tant aujourd’hui face aux dérives techno-libérales qui ont abîmé la construction européenne : « L’abdication d’une démocratie peut prendre deux formes, soit le recours à une dictature interne par la remise de tous les pouvoirs à un homme providentiel, soit la délégation de ces pouvoirs à une autorité extérieure, laquelle, au nom de la technique, exercera en réalité la puissance politique, car au nom d’une saine économie on en vient aisément à dicter une politique monétaire, budgétaire, sociale. » Mendès France réclame dès 1957 « l’égalisation des charges et la généralisation rapide des avantages sociaux » en Europe…

Il se méfie d’un traité « selon lequel la concurrence pure et simple règle tous les problèmes » et il était, hélas, visionnaire : « Nous risquons donc de voir sacrifiées, totalement privées de protection, certaines productions essentielles pour nous et pour notre main-d’œuvre » ; « Notre industrie se trouvera alors découverte contre toutes les concurrences du dehors, celle des États-Unis comme celle du Japon ».

Il voyait bien que le chemin emprunté pour la construction européenne était vicié dès le départ… mais ces prétendus zélateurs n’ont jamais tenté d’en transformer radicalement la nature. Aujourd’hui, les déséquilibres intra-européens ne cessent de se creuser : les dirigeants français oublient les leçons de Mendès France et laissent faire. Tragique erreur !

Son refus du régime de la Vème République procède du même élan, qui s’ancre dans son attachement indéfectible à la démocratie républicaine : « l’étrange Constitution qui se dit républicaine et dans laquelle les pouvoirs les plus décisifs reviennent à des organes qui n’émanent pas du suffrage universel : le chef de l’État, le Premier ministre, le Sénat, le Conseil constitutionnel ; et l’Assemblée nationale ne vient qu’ensuite, comme la cinquième roue du carrosse constitutionnel » ; « C’est le président et lui seul qui concentrera tous les pouvoirs, y compris l’essentiel du pouvoir législatif » ; « Ce que nous devons souhaiter, c’est une VI° République qui soit plus démocratique que la IV°, c’est à dire que le peuple ne se voit pas continuellement trompé et trahi comme il l’é été sous la IV°, mais qu’au contraire ses décisions soient effectivement suivies d’effets ».

Il élargissait sa critique au moment du référendum sur l’élection au suffrage universel du président de la République : « Choisir un homme sur la base de son seul talent, de ses mérites, de son prestige (ou de son habileté électorale), c’est une abdication de la part du peuple, une renonciation à commander et à contrôler lui-même, c’est une régression par rapport à une évolution que toute l’histoire nous a appris à considérer comme un progrès (…) Les citoyens qui élisent une Assemblée votent pour des partis dont les doctrines sont connues, au moins quant à leur orientation générale ; ils se prononcent sur des programmes, sur des propositions. Par contre, lorsqu’un homme est porté à la tête de l’État par le suffrage universel, c’est essentiellement sur sa personne que l’on vote. En fait, « on lui fait confiance », « on s’en remet à lui », et parfois sur la base de promesses plus ou moins démagogiques ».

Comment oublier ses mises en garde qui sont toujours aussi justes alors que les modifications constitutionnelles, les évolutions du calendrier électoral et de la pratique du pouvoir ont aggravé le caractère césariste du régime jusqu’à la caricature jupitérienne du Macronisme ? Comment ne pas voir comment ces institutions concourent dans le même mouvement à un assèchement politique et démocratique très alarmant ?

Oui ! Souvenons nous de Pierre Mendès France, mais méditons d’abord sa pensée profonde et ses convictions plutôt que d’en faire une icône désincarnée et dénaturée.

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