Stop la Galère

«Nous vous demandons de surseoir au processus de privatisation pour l’ensemble des transports d’Île-de-France» : la lettre de 250 élus franciliens à Élisabeth Borne

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Un collectif de 250 élus dénonce la « privatisation » de la RATP. Selon eux, celle-ci entraînera une dégradation des conditions de travail des personnels avec un risque de répercussion immédiate sur la qualité de l’offre.

tribune publiée dans Le Monde le lundi 2 janvier 2023 à 13h30

Île-de-France Mobilités (IDFM) a fait le choix d’engager le processus de privatisation de l’exploitation des lignes de bus actuellement gérées par la Régie autonome des transports parisiens (RATP) dont l’Etat est l’actionnaire unique.

Bien qu’imposé sur le réseau ferré en l’état du droit, ce processus reste facultatif pour le réseau de bus de la RATP, d’autres solutions étaient envisageables à droit constant mais ont été écartées. Valérie Pécresse, en qualité de présidente d’IDFM, a souhaité l’ouverture au secteur privé des lignes de bus aujourd’hui exploitées par la RATP, sans consultation des usagères et des usagers, ni des salariés des transports, ni des élus franciliens.

Afin de préparer cette privatisation et la mise en place de délégations de service public (DSP), l’actuel réseau de bus de la RATP a été divisé, par IDFM, en douze secteurs géographiques (lots). Suivant ce découpage, au plus tard le 1er janvier 2025, douze entités de droit privé devraient exploiter les lignes opérées jusqu’à ce jour par la RATP si le processus se poursuivait. Le réseau historique de la RATP, façonné avec l’histoire de la région parisienne et emblématique de la France, serait ainsi disloqué. L’établissement public industriel et commercial (EPIC) RATP est pour sa part exclu des appels d’offres préparés par IDFM, et la RATP a dû créer des filiales privées pour pouvoir répondre aux appels d’offres.

Les premiers appels d’offres ont été publiés début 2022. Les douze lots seraient attribués au plus tôt début 2024 pour l’arrêt de l’exploitation par l’EPIC RATP dans la nuit du 31 décembre 2024 au 1er janvier 2025.

Anxiété légitime

Concernant l’impact social de ce basculement, la privatisation plonge près de 14 500 machinistes-receveurs actuels dans une anxiété légitime, mais aussi toutes les catégories d’emplois concourant directement ou indirectement à l’activité bus et identifiées par les décrets d’application : régulateurs, agents affectés à la conception de l’offre de transport, approvisionneurs, magasiniers, agents de maintenance courante, contrôleurs, fonctions supports, etc.

Contrairement à ce qui peut être lu ou entendu, le maintien de la rémunération actuelle des personnes en poste n’est en rien garanti. Il est à craindre des pertes de rémunération au regard de l’objectif réaffirmé par Valérie Pécresse de réaliser des économies avec le passage en DSP.

Partant du principe du transfert des salariés de l’EPIC RATP vers les entreprises privées concurrentes en 2025, l’intégralité des contrats de travail de droit public de tous les personnels concernés devra être transformée de force en contrat de travail de droit privé. En cas de refus, ces personnels seront licenciés pour motif économique c’est-à-dire sans indemnités de licenciement.

A propos du calendrier, les personnels concernés devraient être informés début 2024 du lauréat de l’appel d’offres pour chacun des douze lots. Puis, le 1er septembre 2024 au plus tard, la liste des salariés présélectionnés sera publiée ainsi que les conditions de la procédure de transfert. Début novembre 2024, la liste des salariés transférés sera arrêtée, soit moins de deux mois avant le grand basculement.

Un prétexte pour un plan social massif

Dans le cadre des discussions entre la RATP et IDFM quant au nombre de transferts d’équivalents temps plein (ETP) par lot, nous redoutons qu’il soit inférieur au nombre actuel d’ETP du département bus de la RATP. Le basculement pourrait être un prétexte pour un plan social massif qui s’ajouterait à la pénurie structurelle et aurait comme conséquence immédiate une nouvelle baisse de l’offre pour les usagers.

A propos des conditions salariales et de travail, les offres les « moins-disantes » ont été privilégiées par IDFM dans les premiers lots publiés. En effet, l’autorité organisatrice a fait le choix de retenir le critère prix comme premier élément de notation des offres des candidats, soit 40 % de la note finale. Vous le savez, afin de proposer des offres les plus basses possibles, les opérateurs en compétition contractent les coûts au maximum dont le premier poste de dépenses dans ce type de service : la masse salariale qui représente environ 70 % du prix de production.

Très concrètement, cela se traduit par une dégradation sensible des conditions de travail des personnels avec un risque de répercussion immédiate sur la qualité de l’offre de transport. De nombreux cas ont été recensés et sont documentés dans les réseaux qui ont fait l’objet de la nouvelle génération de contrats lancée par IDFM : augmentation des rotations, des amplitudes horaires, réduction voire disparition des temps de pause, baisse des salaires à temps de travail équivalent, défaut de formation, mise en danger de personnels et d’usagers, etc.

Partout où IDFM a privilégié le critère prix, les conditions de travail et les conditions de transport ont été dégradées à l’image des réseaux de Melun-Val-de-Seine, du plateau de Saclay, du Vexin, etc.

« Stop galère »

La mise en concurrence et les conditions de travail actuelles et futures affectent gravement la qualité de service et la sécurité des usagers. Ces dégradations engendrent d’ores et déjà le mécontentement des usagères et usagers ainsi que des mouvements sociaux parfaitement légitimes.

Ces éléments factuels et le processus implacable de préparation du transfert d’une partie du personnel expliquent pour partie la pénurie historique de conductrices et de conducteurs enregistrée, avec une plus forte intensité en Ile-de-France. Ils sont également l’une des causes des démissions massives de machinistes-receveurs largement relayées dans la presse et non démenties par la direction générale de la RATP.

De notre point de vue, la privatisation de l’exploitation des bus démontre les dangers de la mise en concurrence et de cette façon de concevoir les appels d’offres et les délégations de service public propices au dumping social. Le processus en cours n’est ni bénéfique pour les usagères et usagers, ni pour les salariés et les salariées, ni pour l’économie francilienne, ni pour l’intérêt général.

Depuis plusieurs mois, à l’initiative des groupes politiques de la gauche et des écologistes du conseil régional, un collectif d’élus, de salariés des transports, d’associations et d’organisations syndicales dénoncent ce processus. Sous le mot d’ordre « Stop galère », plus de 50 000 parrainages citoyens ont été recueillis et plusieurs dizaines de milliers de personnes ont été rencontrées au cours de réunions publiques et de rencontres de rue.

Le collectif Stop galère auquel nous appartenons demande le retour effectif de l’offre à 100 %, le retour à des transports publics, et de qualité, par le déploiement de nouvelles ressources de financement et l’abandon de la privatisation des lignes exploitées par la RATP et la SNCF.

Grand saut dans le moins-disant social

Concernant cette dernière revendication, nous en sommes convaincus, le point de non-retour n’a pas été atteint : il est possible et même urgent selon nous de surseoir à la privatisation des transports d’Ile-de-France. Il s’agit de la condition sine qua non pour sauvegarder le réseau des transports franciliens, investir, rétablir la qualité de service et préserver le pouvoir d’achat des usagères et usagers.

Le calendrier décrit ci-dessus et le plan social larvé coïncident avec l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024. Ce grand saut dans le moins-disant social et dans l’inconnu organisationnel n’est pas souhaitable dans cette perspective, mais surtout au regard de la situation actuelle, qui est amenée à durer, dans les transports franciliens.

De surcroît, IDFM n’a ni les moyens humains, ni les moyens financiers de conduire à son terme la privatisation, sur le réseau RATP comme sur le réseau SNCF. Nous nous étonnons d’ailleurs de l’anticipation, par Valérie Pécresse, des échéances légales concernant la mise en concurrence des réseaux RER/Transilien, à l’image de la ligne L du Transilien qui devrait être livrée au privé avec sept années d’avance sur la loi.

C’est en totale opposition avec les retours d’expérience européens et aux reports dans les autres régions françaises voire l’abandon de la mise en concurrence comme en région Bourgogne-Franche-Comté.

Dangereux voire fou

Vous le savez parfaitement, l’autorité organisatrice rencontre des difficultés à pourvoir ses propres postes, à financer le fonctionnement du réseau et à tenir les engagements en matière d’investissement.

Pourtant, la seule mise en concurrence des lignes de bus de la RATP engendre un effort d’investissement de 4,9 milliards d’euros pour IDFM d’ici 2025 afin d’acquérir les véhicules et les biens appartenant aujourd’hui à la RATP. Concernant le réseau SNCF, l’estimation de l’effort d’investissement reste inconnue à ce jour.

Il nous apparaît dangereux voire fou de venir davantage déstabiliser le système de transports franciliens par une privatisation gourmande en termes d’investissement d’autant que nous ignorons à ce jour les coûts inhérents aux autres phases de la privatisation (Transilien, tramways, RER, métro). Nous craignons que ces investissements se fassent au détriment de la modernisation de l’existant et empêchent l’indispensable développement du réseau à l’heure de l’urgence climatique.

Enfin, la mise en concurrence s’ajoute à un contexte difficile pour les usagères et les usagers d’Ile-de-France. Elles et ils viennent de connaître une hausse historique de la tarification, de 10,5 % à 31,6 % en fonction des titres de transport. Sous le poids de cette hausse des tarifs, une perte de 30 000 à 40 000 abonnés est d’ailleurs redoutée en 2023, certains usagers renonçant à se déplacer ou préférant l’automobile ce qui est contraire aux enjeux climatiques.

De plus, par diverses délibérations, Valérie Pécresse a fait le choix de réduire l’offre de transport sur le réseau francilien. Ainsi, pendant près de trois ans, IDFM n’a pas commandé aux opérateurs l’offre normale, obligeant les entreprises de transport à ralentir les recrutements et à revoir l’organisation du travail. Cette décision politique de réduire durablement l’offre pénalise fortement les usagers qui subissent des temps d’attente plus importants et se retrouvent dans des véhicules bondés.

Il n’est pas encore trop tard

D’ailleurs, une amélioration significative de la situation sur le réseau de surface n’est pas sérieusement envisagée, notamment au regard de la prévision du montant de « réfaction » reversé à IDFM pour non-réalisation de l’offre dans le budget 2023, estimé aux deux tiers du montant reversé en 2022, dans le propre budget de l’autorité organisatrice.

Puisqu’il est indispensable de retrouver des transports publics de qualité et qu’il n’est pas encore trop tard, nous vous demandons, madame la Première Ministre, de surseoir au processus de privatisation pour l’ensemble des transports d’Ile-de-France, en intervenant auprès de la présidente d’IDFM. Dans l’attente d’une modification de la loi d’orientation des mobilités, la suspension immédiate des décrets d’application permettrait d’envoyer un signal fort et de cesser cette fuite en avant.

Concernant le financement du fonctionnement, nous vous demandons de bien vouloir nous recevoir afin de vous exposer nos propositions concrètes pour un financement durable et dynamique des transports publics franciliens, sans hausse tarifaire. La subvention accordée par le gouvernement à IDFM pour son budget 2023 ne constitue en rien une solution pérenne et ne permet pas d’épargner les usagers. Ces derniers comme les salariés des entreprises ne peuvent pas être les variables d’ajustement des bras de fer entre l’Etat, la région Ile-de-France et Ile-de-France Mobilités.

Enfin, nous espérons que l’Etat sera présent aux assises du financement des transports franciliens organisées le 23 janvier. Celles-ci, que nous appelions de nos vœux, ne peuvent être utiles que si tous les acteurs y participent.

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